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Lire de tout ?


J'aime relever des défis. Même de ceux qui peuvent me mettre à mal...


« Nous sommes tous les mêmes. Quand une idée ou un argument nous plait, nous nous l’approprions sans vergogne, en oubliant même qui nous l’a enseigné ».

Et en l’occurrence, Eric a aussi la capacité de transformer le sens de l’argument, voire même des événements pour les faire aller dans le sens de sa vérité.

J'ai à la maison deux grands garçons qui ne sont pas des lecteurs, mais alors pas du tout du tout. Mais qui sont par contre à la fois très cultivés et très plaisantins, parfois même moqueurs. Ils me connaissent bien et savent où gratter pour que ça gêne, pour que ça prenne, pour que les échanges soient à la fois constructifs et polémistes. Et au delà de tout, ils savent que les livres sont mes amis.

Ainsi donc, ils m'ont mise au défi de m’attaquer au dernier Zemmour, ouvrage que je n'avais ni l'envie ni l'intention de lire. D'une, ce n'est pas un roman, de deux, je déteste l'auteur, ancien chroniqueur politique et potentiel candidat aux prochaines élections présidentielles. De deux, je n'adhère pas à ses idées, pour ne pas dire qu'elles me débectent carrément. Mais voilà. J'ai le sens du défi, et j'ai relevé le challenge.


« Car c'est par l'écriture toujours qu'on pénètre le mieux les gens. (…) les mots noirs sur le papier blanc, c'est l'âme toute nue ». Maupassant.

Je sais que d’habitude, à ce moment là du compte-rendu de lecture, je lance le pitch… alors voilà…

Si vous cherchez un guide vert Michelin des beaux quartiers de Paris, doublé d’un répertoire de la haute société, aussi bien dans le domaine de la culture, des médias ou de la politique, ce livre est pour vous. En plus, ce n’est pas si compliqué à comprendre, c’est un retour sur les agendas de cet homme si pris, si précieux, qu’il a plein de rendez vous dans le « beau monde » dans des endroits prestigieux (à condition qu’ils ne soient pas plus récents que la Commune de Paris, le moderne XXème siècle est laid et sans âme, c’est bien connu). Voilà, c'est tout pour "l'intrigue", il n'y en a pas en fait...


J’ai très rapidement été malmenée. De deux choses l’une : soit je changeais d’approche, soit j’arrêtais. J’ai opté pour la première solution, je ne suis pas une choupette. J’ai pris des notes. Beaucoup de notes. Souligné des phrases, des passages, vérifié des faits et surtout, surtout, tenté de prendre du recul.

L’auteur s’en prend à tout et à tout le monde. Même quand il se fend d’un qualificatif « sympa » (je n’ai pas de mot savant à 45 points au Scrabble pour sympa, désolée) il tacle de suite derrière).

Il m’a paru particulièrement sensible aux égos surdimensionnés et au narcissisme de certains de ses interlocuteurs/ détracteurs… c’est çui qui dit qui y’est ! Je n’avais jamais lu un auteur si pédant, si moralisateur, si donneur de leçon, ayant autant à prouver. N'y aurait-il pas ici un léger complexe d’infériorité ? Il lui faut, dates à l’appui, dire qu’il a déjeuné avec untel, bu un café avec un autre… (il passe sa vie au restaurant, c’est impressionnant!). C’est un carnet de rendez-vous, je vous le disais plus haut. Monsieur a de bonnes relations, des qui n’ont pas grandi dans la grande couronne, des qui sont nés Français de métropole. Des qui portent et donnent à leurs enfants des prénoms bien de chez nous… Tout ce qui peut rendre un peu moins français la France ou ses citoyens est bon à jeter de toute façon.

Omar Sy, Zinedine Zidane, Sibeth Ndiaye d’abord. Johnny Hallyday, aussi, qui a eu le CULOT de changer de nom ! (Alors que les précédents cités auraient du le faire, au nom de leur assimilation à la République). Sans parler de Debbouze, Bouchareb, Ladj Ly ou Aïssa Maïga. Obama a pour lui le seul avantage d’être américain mais bon, il est métisse quand même et a eu le culot de préférer Merkel à Sarko pour les relations entre les USA et l’Europe (une femme allemande, quelle horreur !)

Et quand ce n'est pas ses rencontres, ce sont ses impressions sur l'actualité ou les films qui sont les plus grands succès de ces dernières années : Intouchables, Indigènes, Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu... Il retourne tout, détricote ces oeuvres pour prouver qu'il a raison de se méfier des étrangers envahisseurs. Jusqu'aux attentats de Charlie Hebdo en janvier 2015, qu'il utilise pour prouver que oui, encore une fois, il avait raison de dire depuis le début de se méfier des musulmans... (là, j'avoue, j'ai hésité entre larmes et vomi...).


Ses références systématiques et souvent hors propos, voire indigestes, aux grands auteurs de la littérature vont dans le même sens : il a lu Mauriac, Balzac, Zola, Hugo (comme beaucoup, soit dit en passant... ah oui, comme moi aussi)… il les a lus et réussi à trouver dans les discours de certains des plus grands humanistes des phrases sorties de leur contexte pour dire « vous voyez, même Hugo disait comme moi! »…

Ses rappels à l’Histoire sont quant à eux truqués, tronqués, voire même falsifiés (je rappelle que non, toutes les anciennes colonies ne se sont pas dégagées de la France avec des armes. Le Sénégal par exemple, l’a joué assez cool. Il n’y a eu que l’Indochine et l’Algérie qui ont été théâtres de guerre).


Et puis, il y a, il faut l’avouer une très/ trop grande maîtrise exprimée de la langue française (il a décidément des choses à se prouver, cet homme). Les termes surannés, les formulations alambiquées, pour noyer le poisson et perdre le lecteur lambda. Mieux faire passer l’idée que tous les musulmans sont islamistes, que toutes les banlieues sont envahies par la délinquance issue de l’immigration, que tous les étrangers veulent envahir et écraser l’identité nationale. Que celui qui n’est pas français doit prouver qu’il veut l’être en oubliant son identité propre, son passé, ses racines et ses convictions.


 
« Accéder à la lecture, c'est se doter d'une arme formidable : le droit d'imaginer, le droit de penser par soi-même et le droit de savoir ». Edouard Philippe

Depuis tout le temps que je lis (et avec tout ce que je lis) et que je me confronte à tout un tas de réalités ou de fictions, j'ai souvent, très souvent dû être face à des ignominies, des idées, des concepts, des idéologies diamétralement opposées aux miennes. Que ce soit l'esclavage, la guerre, la violence faite aux femmes ou aux enfants, les sévices sexuels, la haine et l’éviction... J'ai par exemple lu plusieurs ouvrages sur le Gang des Barbares, le récit tiré des agissements terribles de Michel Fourniret, l'évolution de la seconde guerre mondiale vue par un officier Nazi convaincu ou l'histoire d'un collabo assumé... J'ai même été jusqu'à lire du Matzneff pour mieux comprendre ce qu'avait enduré et dénoncé Vanessa Springora.

J'ai appris, beaucoup. Je me suis nourrie et c'est ce que je tente de continuer en lisant sur des sujets qui peuvent être dérangeants, violents.



J’ai eu peur de ce que j’allais découvrir dans ce livre, et d’une certaine façon, ma peur était fondée. Vraiment. Non pas que que cela ait changé de quelque manière que ce soit mes convictions les plus profondes, mais j’ai été choquée et consciente que ce genre de discours plait, séduit, subjugue. Parce que cette écriture réussit à faire se sentir con le lecteur le plus aguerri. Le ton, les mots, les citations, tout y est : lui sait, toi lecteur, tu ne sais pas (d’ailleurs, si t’es une femme, c’est même étonnant que tu saches lire!)


Effrayée, oui, mais en même temps enthousiaste, c'est très bizarre. Car de la même manière que je me suis plongée dans les écrits concernant les religions (toutes les religions) pour pouvoir me forger une opinion et enrichir mon argumentaire, je me dis que ces 352 pages (ça va, c'est plus court que "Dracula" de Bram Stocker) m’ont permis de mieux comprendre ce qu'il y a dans cette tête, dans cet esprit qui pense que la France ne doit plus être ce qu'elle a toujours été : une terre d'asile et d'amour, une terre d'accueil et un refuge pour ceux qui en ont besoin. Cette lecture, même si elle a été douloureuse, m’a donnée l'opportunité de coller à cette phrase, souvent attribuée à Sun Tzu (dans l'Art de la Guerre) ou à Machiavel : "Sois proche de tes amis, et encore plus proche de tes ennemis" (phrase en réalité tirée du magnifique "Parrain II" de Francis Ford Coppola!)...


« Lire sans réfléchir, c'est comme manger sans digérer » E. Burke

Au final, je suis plus forte. Vraiment. Je devrais remercier Zemmour parce que je suis désormais plus éclairée sur ce que je souhaite par dessus tout combattre : la haine de l'Autre et la répudiation de nos valeurs fondamentales. La France n’est une et indivisible que parce qu’elle est constituée d’individus, justement. C’est en additionnant les minorités que l’on obtient une majorité : c’est en acceptant les différences et les particularités que l’on avancera. Et ça, Éric, c’est toute la différence entre les gens comme vous et les gens comme moi : vous prônez l’égalité en exigeant que la girafe monte à l’arbre comme l’écureuil. Je crois en l’équité : c’est en prenant en compte les forces et les faiblesses individuelles que nous arriverons à l’objectif commun.

« Seul un esprit éduqué peut comprendre une pensée différente de la sienne sans avoir à l'accepter » Aristote

Prenez en bonne note, monsieur, redescendez de votre piédestal et heurtez vous à la réalité, en dehors des murs de Paris, en dehors des immeubles cossus, en dehors des bureaux politiques ou des studios, en dehors des restaurants gastronomiques. Ne niez plus les identités, à commencer par la votre.




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