Ahmet Altan
« La littérature a besoin du courage, et c’est le courage qui distingue les grands écrivains des autres. »
Retour sur un roman lu pour me réchauffer, dans le cadre d’un challenge de lecteurs, mais qui n’a pas atteint son objectif initial. Il m’a cependant ouvert les yeux et appris beaucoup sur le pouvoir de l’amour dans la perte de liberté.
« A l’époque, j’ignorais encore que la vie est littéralement la proie du hasard et qu’un mot, une suggestion, ou rien qu’une carte de visite (…) suffisent à la faire changer du tout au tout.»
Du jour au lendemain, à la mort de son père, un jeune homme se retrouve sans ressources. Il passe de l’opulence à la pauvreté. C’est tout son univers qui est inversé. Il continue cependant ses études en littérature et se trouve de petits boulots pour subvenir à ses besoins, notamment en étant figurant dans une émission de télévision. C’est à cette occasion qu’il fait la connaissance de Madame Hayat. Cette femme, d’une cinquantaine d’années, aux formes et au sourire généreux, va lui apprendre la volupté, la légèreté, la liberté… Petit à petit Fazil va être emporté par les élans amoureux de sa jeunesse, en même temps qu’il assiste à la chute de son pays.
Il se confronte à cette femme secrète qui n’a jamais lu de romans mais est passionnée par les reportages… Dans sa pension, il voit son environnement changer, la violence prendre de l’ampleur, la peur gagner du terrain, la mort frapper.
Il rencontre par ailleurs la jeune Sila. Étudiante comme lui, ayant perdu la richesse, comme lui ; elle partage avec le jeune homme un amour profond pour la littérature et une honte profondément ancrée liée à cette nouvelle pauvreté. Ils vont apprendre à se connaître, à s’apprivoiser et à s’aimer.
Le jeune homme navigue entre deux femmes, entre deux régimes politiques, entre deux mondes… Il est perdu et nous sommes perdus avec lui.
« Une femme ne sait pas si elle est heureuse, elle sait en revanche très bien ce qui manque à son bonheur. »
Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’était pas le roman auquel je m’attendais. Vraiment pas. Alors forcément, au début, j’ai été déçue. J’avais tellement entendu parler de ce Prix Femina Etranger 2021 que je m’en étais fait tout un monde, je m’étais imaginé une histoire. Ce que j’ai lu ne correspond pas du tout à ce que j’avais en tête.
Et puis, je me suis accrochée, aussi parce qu’il est dans mes habitudes de ne jamais abandonner un roman commencé, et je me suis rendue compte qu’au-delà de l’amour et de la sensualité, c’est de la situation d’un pays dont il s’agit ici. Fazil et Sila découvrent la pauvreté certes, mais perdent aussi et surtout la liberté dont ils jouissaient : la liberté de circuler, de consommer, d’étudier, de penser. Petit à petit, le pays change, à l’image de ce que le jeune homme voit sur son balcon chaque soir. Les rues se vident, les prisons se remplissent. La littérature et la sexualité deviennent des refuges quand la réalité devient trop restrictive, trop frustrante.
« La critique n’est pas un snobisme. Ce n’est pas une compétition narcissique à qui aura compris le livre auquel personne n’a rien compris. »
En creusant un peu le contexte d’écriture de Madame Hayat, j’ai appris que l’auteur l’avait rédigé alors qu’il était lui-même en prison pour avoir diffusé soi-disant des messages à l’encontre de son gouvernement. Emprisonné pendant cinq ans, il a mis dans ce roman tout ce qui pouvait être dit : l’amour, la peur, le danger politique. Un autre regard sur la Turquie, après la lecture de La bâtarde d’Istanbul. Un regard plus récent, tout autant glaçant sur ce pays qui subit de grandes et graves transformations.
Madame Hayat est cependant un récit plein d’espoir : malgré tout, il reste la littérature, il reste la liberté de penser et d’aimer.
« Pour pouvoir tuer le passé de quelqu’un, c’est la personne elle-même qu’il faut tuer. Et tu finiras par la tuer, juste pour anéantir son passé. »
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