Antoine Rault
Un petit coup de blues, une course à faire à la librairie, un mot magique sur la couverture. Je suis partie en "terre inconnue” dans ce roman, seulement portée par une intuition.
« Il y a de la beauté dans toute humanité. Elle est dans le noir comme dans le blanc.»
1919. La guerre est finie. La France est en liesse et s’apprête à célébrer le 14 juillet de la paix. Les soldats regagnent leurs foyers, c’est le retour à une vie normale. Les soldats, quelque soit leur grade, rentrent chez eux. A quelques exceptions prêt. Amadou Lo, 20 ans, Guinéen, est réclamé par son major. Il ne retrouvera pas son pays pour le moment, le médecin veut l’avoir à ses côtés en Franche-Comté. Il veut lui faire découvrir la France, lui dit-il. Faire de lui un vrai français.
Amadou, reconnaissant envers celui qui lui a sauvé la vie sur le front, le suit. Accepte. Subit. Lui qui a été un héros de la guerre, qui s’est battu pour le pays colonisateur, qui a été décoré pour sa bravoure et ne connaît de la France que ses champs de bataille et ses tranchées va découvrir une autre facette de cette nation. Oubliée la reconnaissance, il est temps que les nègres retournent chez eux et laissent la France aux Français. Et s’il veut rester, Amadou doit faire preuve d’obéissance, d'abnégation, d’efforts. Il doit être un bon négrillon et faire ce qu’il faut. Se laisser faire. Tout faire pour alléger sa différence : apprendre à lire et à écrire, à parler et à se tenir correctement. Être Français, oui, mais sans pour autant s’oublier et se renier complètement.
« Savoir lire, c’est comprendre tout. Il suffit de mettre deux ou trois mots ensemble pour qu’ils prennent un tout autre sens qu’ils en auraient seuls. »
L’après première guerre mondiale est décidément une période absolument fascinante. Après l’enquête du Soldat Désaccordé et les légendes De Gilles Marchand, on s’intéresse dans ce roman à la condition de ceux qui ont été arrachés à leurs pays pour servir de chair à canons sur les champs de bataille. Acclamés, applaudis, attendus pendant les combats alors que les soldats français mourraient sous les feux allemands, ce sont les mêmes qui ont été dévalorisés, rejetés, humiliés dès la guerre terminée.
La bonne société se méfie d’eux, nourrie de ses idées reçues et préconçues. La présence d’Amadou dans le petit village franc-comtois fait naître peur, fascination, fantasme, haine. On oublie le soldat, c’est l’animal qui est là. Celui qui doit obéir, celui qui ne sait pas réfléchir, celui qui ne vaut pas mieux qu’un chien. Et encore.
Antoine Rault dénonce ici l'hypocrisie française. Illustré d’extraits de journaux, de dictionnaires, de réclames, l’auteur nous replonge dans une époque, un état d’esprit. L’écriture est simple, mais pas simpliste. Elle est juste. Les bons mots pour décrire les maux d’une société ignorante. Cent ans plus tard, en y réfléchissant, il persiste des stigmates de cette injustice.
Outre le bond dans le passé, c’est une réelle réflexion sur notre héritage et la dette de la France à ses colonies, à ses hommes et ses femmes qui ont tout donné pour un pays qui n’est, finalement, pas le leur. Il est temps de leur rendre ce qui leur est dû, à commencer par la reconnaissance. Antoine Rault le fait avec émotion et justesse dans son Monsieur Sénégal, suivons son exemple.
« Lorsqu’on a besoin de nous pour nous faire tuer ou pour nous faire travailler, nous sommes des Français, mais quand il s’agit de nous donner des droits, nous ne sommes plus des Français, nous sommes des nègres ! » (L. Sneghor, La Voix des Nègres - 1927)
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