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Notre part de nuit

Mariana Enriquez

Il y a eu du bruit autour de ce premier roman argentin lors de la rentrée littéraire de septembre et j'ai vu passer, j'ai entendu des retours, sans vraiment y prêter attention à dire vrai. C'est en souhaitant me plonger dans un bon gros pavé que je me suis lancée dans cette épopée...


« Vous êtes intelligents, car nuire avec simplicité, c’est être intelligent. »

L'histoire débute en 1981, en Argentine. Juan et son fils sont en fuite. On ne sait pas vraiment ce à quoi ils doivent échapper ni pourquoi. Mais il flotte autour de ce père grand, beau puissant et au demeurant gravement malade une sorte d'ombre, une masse sombre et lourde, fantastique et malveillante. Juan est médium. Il a un pouvoir, vigoureux, qui pourrait le tuer lui mais aussi son petit Gaspar de 7 ans. Alors pour sauver leurs vies des sévices de l'Ordre et de l’Ombre, Juan a décidé de fuir, de protéger son garçon comme il n'a pas pu protéger la mère, morte quelques mois auparavant.

Chapitre suivant, époque différente, narrateur différent. Gaspar a maintenant 13 ans. Il vit dans une grande maison vide avec son père, de plus en plus malade, de plus en plus violent aussi. L'adolescent sent qu'il y a quelque chose qui cloche, des souvenirs macabres - que son père appelle des cauchemars. Des mensonges, des secrets, des douleurs. Et puis des amis aussi. Dont l'une, Adela, a perdu un bras quand elle était toute petite. Cette jeune fille sera perdue pour toujours derrière une porte ouvrant sur un monde mystérieux et dangereux, un lieu d'ombres qui prend et ne rend jamais ceux qu'il avale.

Chapitre suivant, époque suivante, narratrice différente... et c'est comme ça, d'un lieu à un autre, d'un personnage à un/e autre, que la chronologie des événements prend forme. Sous couvert de la dictature et de l'Histoire de l'Argentine, le chemin de Gaspar se trace, depuis l'enfance de sa mère jusqu'à l'issue de ce qui doit être vécu.


« À nouveau une urne de cendre sur une étagère. C’était ça, être orphelin, posséder de petites urnes de cendres sans savoir qu’en faire. »

C'est un roman bizarre, vraiment. Jamais je n'aurais pensé lire quelque chose de similaire, moi qui ne suis pas du tout portée sur le fantastique. L'ambiance nimbée de magie noire, de médium, de violence et d'esprit m'a surprise, mais l'amour filial, les descriptions de l'Argentine, des coutumes, la tolérance qui sont dans chaque page, chaque mot, m'ont accrochée au récit.

Bien sûr, il y a eu des longueurs et parfois même des incompréhensions. Mais ce flou est celui dans lequel évoluent les personnages en général et Gaspar en particulier. L'auteure fait en sorte que le lecteur n'en sache pas beaucoup plus que son héros, que nous évoluions au même rythme, même si l'alternance des narrateurs nous donne à nous une légère longueur d'avance.

Cette lecture va laisser une trace, un arrière goût de réflexion, un besoin de légèreté car il est lourd, dans tous les sens du terme. L'Histoire et les drames de l'Amérique du Sud depuis les années 1960 sont une salle de spectacle dans laquelle Enriquez met en scène une pièce de théâtre macabre mais puissante, sur fond de dictature, de musique, d'homosexualité, de répression,... Elle nous laisse prendre un peu d'air à Londres pour nous replonger quelques pages plus loin à Buenos Aires, elle veut qu'on ait bien conscience des difficultés et des écarts entre les classes sociales, les continents, les civilisations, les cultures.


« Il comprenait que les hommes, dans leur majorité, n’aiment pas que quelqu’un les voie pleurer, encore moins un autre homme, et encore moins un enfant ».






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