Alexandra Koszelyk
« Survivre, c’est vivre deux fois. Pour moi. Et pour eux qui ne le pouvaient plus. »
En août 1985, alors qu’elle n’avait que 8 ans et demi, Alexandra a survécu à un très grave accident de voiture. Son frère est lui aussi rescapé, tandis que leurs parents ont péri, la mère sur le coup, le père quelques jours plus tard. Confiée à la garde de son oncle et de sa tante, la petite fille est très vite conditionnée par l’impératif de ne pas montrer ses failles, son chagrin, la douleur de la perte. Elle évolue tant bien que mal, trouvant dans la littérature de quoi garder la tête hors de l’eau et fuir dans des mondes imaginaires où le deuil et son statut d’orpheline n’ont pas cours.
Début juillet 2024, Alexandra a écrit plusieurs romans, elle est professeur de lettres anciennes et part en résidence dans le village d'Evrecy en Normandie. Non loin du lieu de l’accident, elle décide de raconter, de se livrer toute entière et en toute transparence à un carnet. De livrer sa réalité, sa vie, depuis la mort de ses parents jusqu’alors. Se reposant sur sa passion pour la lecture, son besoin d’apprendre, de maîtriser parfaitement le Français et ses racines, elle petite-fille d’Ukrainiens, elle aborde aussi sa vie d’adolescente, de jeune adulte, d’étudiante, de professeure, d’auteure, de mère. Elle revient sur ce traumatisme originel et le décortique, analysant - en partant de cet évènement - tout ce qu’elle a fait, tout ce qu’elle est devenue.
De 1985 à 2023, ce ne sont pas loin de 40 années qui sont éclairées et dévoilées : comment, pourquoi Alexandra Koszelyk est-elle devenue Alexandra Koszelyk ? A partir de l’accident qui a coûté la vie à ses parents, comment s’est-elle construite ? Quelles ont été ses contraintes, réelles ou imaginaires ? Comment se débrouiller dans la vie quand celle-ci est marquée dès le plus jeune âge par un drame qui conditionnera toutes les années à venir ?
« Les morts parlent toujours trop fort à notre oreille. »
Je connais Koszelyk pour avoir lu deux de ses romans (A crier dans les ruines & L'Archiviste) qui m’ont particulièrement marquée et qui mettent en lumière son attachement pour le pays d’origine de sa famille, l’Ukraine. Ici, elle le dit elle-même, il ne s’agit pas d’auto-fiction mais de non-fiction. La littérature a une place centrale, salvatrice, tant dans cet écrit que dans la vie de l’écrivaine, ce qui me conforte dans l’idée que les livres ont le pouvoir de nous sauver grâce aux mots/ maux des autres.
Construit comme un journal (c’est d’ailleurs un journal qui nous permet d’observer le rythme d’écriture, de visiter les lieux, de comprendre les liens…) ce récit nous permet d’accompagner Alexandra dans son introspection. Un regard long et appuyé dans le rétroviseur. 38 ans à regarder. Mais elle peut se le permettre car dans cette résidence, le véhicule est à l’arrêt et elle a du temps. Elle peut donc rentrer dans le dur de ce qu’elle a vécu mais aussi tourner autour, faire des constats, des analyses, se poser des questions sur elle mais également sur le monde qui l’entoure.
Je n’ai pas été toujours très à l’aise dans cette lecture, on ne va pas se mentir. Il y a eu des moments de longueurs, d’agacement, de fatigue, d’ennui même. Mais c’est ce qu’on vit. Dans la vraie vie. Et ça, c’est essentiel pour comprendre la femme qu’est Koszelyk. Parce que la question de l’identité est également prégnante : qui est Alexandra ? l’orpheline ? l’étudiante ? la prof ? l’écrivaine ? la mère ? l’Ukrainienne ? Pourquoi choisir ? Elle est tout cela à la fois et c’est ce qui fait la richesse de son parcours et qui force l’admiration.
Alors que le paysage littéraire est semé de drames, de maltraitances, de violences, il est encourageant de se dire que
d’une, on ne se blase pas face aux chagrins et aux traumas d’autrui (pensée spéciale ici pour Neige Sino)
de deux, ces personnes ont maintenu (ou retrouvé) le cap et ont en eux la force de partager non pas le fardeau, mais la capacité de (sur)vivre après le pire.
Une invitation à mieux connaître cette femme et ceux qui, comme elle, on trouvé la force de continuer sans parents. Bravo !
« Lire, écrire des histoires est une façon de faire taire ces trous d’air qui sont toujours là, ces menaces d’abandon, de perte.. »
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