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Profession du père

Sorj Chalandon

J’ai découvert l’ancien journaliste de Libération avec le Quatrième Mur. Je l’ai aimé avec Enfant de Salaud. Il était tout naturel que je continue cette idylle littéraire avec un des plus fameux romans de l’auteur.


« Mon père le disait souvent : l'héroïsme ne s'explique pas. »

23 avril 2011. Emile et sa mère enterrent le père. Ils ne sont que tous les deux. Personne pour les accompagner dans cette inhumation. Cette incinération est à l’image de la vie de famille qu’ils ont menée : solitaire, vide, triste. Emile, un homme en 2011, se souvient de l’enfant qu’il a été en 1961. Enfant maltraité par son père, protégé comme elle pouvait par sa mère. Ce père était un homme spécial, à part. Héros de la résistance, agent secret au service de la CIA, membre de l’OAS. Chaque année, au moment de remplir la fiche de renseignements au collège, il y questionnement au moment de remplir la case Profession du père. Ce géniteur apparemment sans activité professionnelle, avait été Compagnon de la Chanson et champion de football. Cet homme avait eu mille vies, avait vécu mille aventures, traversé mille épreuves. Il avait prévu avec son meilleur ami Ted de tuer le président de Gaulle pour que l’Algérie reste française. Il voulait un fils fort, un fils à la hauteur de sa grandeur et de ses ambitions, quitte à le façonner à la dure.

« Mon père a été chanteur, footballeur, professeur de judo, parachutiste, espion, pasteur d’une Eglise pentecôtiste américaine et conseiller personnel du général de Gaulle jusqu’en 1958… »

Chalandon a un souci avec son père. Nul ne peut nier cette évidence. Sans avoir lu Enfant de salaud, j’aurais sans doute pensé que c’était un énième roman sur la maltraitance des enfants. Brillant, mais presque déjà vu, si on met de côté tout le burlesque et l’absurdité des mensonges. Mais je n’ai pas lu les ouvrages dans l’ordre, donc je savais. Je savais que la mythomanie du père avait été un poids pour l’homme de lettres. Que la réalité de l’identité de son paternel avait été un choc. Car comme tous les petits garçons, Sorj voulait que son père soit un héros, et ce dernier lui avait donné un héros. Mais en vérité, cet homme n’était rien. Rien d’autre qu’un menteur, un affabulateur, un individu ravi de trouver dans les exploits des autres des aventures à s’approprier.


Profession du père met en lumière la souffrance d’un enfant, d’une épouse, mais aussi, d’une certaine manière, d’un homme, qui se rêvait et se rendait compte, à chaque réveil de la médiocrité de sa vie. C’est de cette petitesse qu’il se venge : sur sa femme, sur son fils, sur sa réalité. Avec son écriture journalistique, efficace et directe, Chalandon nous plonge dans cette vie de peur et de violence et nous tient la main pendant notre rencontre avec le monstre sans profession qu’a été son père. Pour nous donner du courage autant que pour se nourrir du notre.


« Et ce jour-là, devenu adulte et revenu près de mon père, j’ai su qu’il ne m’avait pas vaincu. Je n’avais été abîmé ni par la haine ni par la rancœur (…). J’étais prêt à vivre ».

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