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Propre

Alia Trabucco Zerán

« Cette histoire a plusieurs débuts. C'est même ce qui la constitue, j'oserais affirmer (…). Rien n’est aussi simple qu’il y parait. »

Estela a 40 ans. Elle est domestique à domicile auprès de la même famille depuis plusieurs années. Suffisamment pour avoir vu Madame vivre sa grossesse et la petite venir au monde. Cette petite qu’elle a soignée, langée, nourrie… Estela fait partie des meubles. Elle est là, mais ne compte pas. Pourtant, sans elle, le foyer s’effondre : Madame ne sait pas faire grand-chose et Monsieur, médecin, est très peu présent. Alors Estela, cuisine, range, nettoie, fait le grand ménage tous les lundis, et petit à petit devient aussi invisible que possible.

Et pourtant, lorsque le roman commence, elle l’annonce tout de suite, sans surprise : la petite fille est morte. Et elle veut expliquer comment ce drame est arrivé. Pour ce faire, il faut qu’elle remonte très loin dans le passé, qu’elle aborde son enfance, dans le sud du Chili, qu’elle parle de sa mère, qui lui avait prédit qu’elle ne reviendrait jamais, après son départ à Santiago. Elle aborde également cette chienne pour qui elle nourrit une affection particulière, les manies de ses employeurs, et enfin le caractère particulier de cet enfant qui est une force fragile de la nature, caractérielle, obsessionnelle, obstinée… Une enfant qu’Estela voudrait ne pas aimer et pourtant.

Ce roman est construit comme un mythe : on sait que la fin est tragique mais ce qui nous interroge, c’est le début et le cheminement vers cette issue fatale. Aurons-nous les réponses à nos questions ?


« je n'avais plus de mère à qui téléphoner, et cela ouvrait un silence si profond que la moindre phrase n'était plus que du bruit. »

Ce roman chilien est une expérience, un pari. J’avais entendu des analogies avec « Chanson Douce » mais je n’ai pas eu la sensation d’avoir déjà lu quelque chose de ce genre. Certes, il y a cette domestique et ce drame, mais la ressemblance s’arrête là. La plume de l’auteure est différente, beaucoup plus proche de la réalité sociale de ceux qui quittent le froid sud pour une vie meilleure dans la capitale. L’écart entre les riches et les pauvres, les citadins et les ruraux, les employeurs et les employés.

Estela a bien quelques petits sursauts de rébellion mais cela ne va jamais bien loin et, même lorsque la douleur ou le chagrin la terrassent, elle fait le job, elle tient la maison, s’occupe de l’enfant et prépare le dîner. Elle ne peut que se reprocher le fait d’avoir réalisé la prédiction de sa mère qui l’avait prévenue : ne t’attache pas, ne les aime pas, tu ne reviendras jamais… la vieille femme avait raison et Estela s’en veut, perd pied dans la réalité et s’enferme toujours plus dans son invisibilité. Il n’y a que la petite pour refuser ce silence, pour tester les limites de la bonne, pour tenter de la faire réagir.

Une écriture dure, sans fioriture, sans excuse. Une écriture non pas pour justifier mais pour expliquer les rouages d’un drame dont personne n’est malheureusement à l’abri. Une auteure à suivre…


« Sans détours, il est impossible de reconnaître la route principale. »

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