Metin Arditi

« La vérité finit toujours par avoir trop chaud. »
Jaffa, février 1917. Aujourd’hui, Rachel fête ses 12 ans. Elle est toute à sa joie d’avoir imaginé une nouvelle histoire à raconter. Mais la venue, hier, de Iacob, va bouleverser sa vie et celle de sa famille. Car l’homme s’est suicidé, et il a laissé derrière lui une petite Ida de 11 ans que la famille de Rachel va recueillir. Cette famille est multiculturelle : il y a Rachel et ses parents et Mounir, son frère de lait, sa mère et son père. Juifs et Arabes vivent ensemble, dans l’amour et le partage. Mais en avril de cette même année, les choses changent et les juifs doivent quitter Jaffa. Ils n’y sont plus les bienvenus.
A partir de ce moment-là, rien ne sera plus pareil. Quelques mois dans un kibboutz, puis retour à Jaffa et départ pour Tel-Aviv, Les filles sont devenues de vraies sœurs et gardent Mounir dans leurs cœurs. Les années passent. Rachel a épousé Karl, ils ont eu ensemble une belle petite fille, Elisheva. Elle est devenue dramaturge. Ida est sa comédienne. Mais en 1936, la tension monte et les attentats contre les juifs se font de plus en plus violents. La mort rode et frappe Rachel de plein fouet. Comment se remettre de l’indicible ? Se laisser aller, puis se battre et fuir, loin du souvenir et du chagrin. Laisser passer les années, les difficultés, se rendre compte qu’être juif, c’est être toujours en exil, où qu’on soit. Être blessée, être attaquée, et se relever, toujours. Rachel est une citadelle imprenable, une idéaliste qui n’aura de cesse de prôner la paix et l’amour entre les peuples, à défaut de chérir les liens avec ses proches.
« Quand le bonheur est trop violent, il terrasse et laisse démuni, sans voix ni raison, et l'on se retrouve incapable de comprendre ce qui arrive,… »
De 1917 à 1982, de Jaffa à Tel-Aviv, en passant par Istanbul, Paris ou même New-York, la vie de Rachel et des siens est une succession de souffrances, de fuites, de trahisons et de marques d’amour, aussi et surtout. Elevée avec un enfant Arabe qu’elle aime plus que tout, confrontée à la diaspora avec l’arrivée d’Ida dans sa vie, qu’elle va chérir plus que tout, Rachel est confrontée à tous les statuts, tous les rejets, mais aussi toutes les marques d’admiration, entre deux humiliations.
Femme libre au grand coeur brisé, elle saura exprimer son envie de paix et de dialogue entre les communautés, elle se battra pour faire entendre sa voix tendue vers le dialogue, mais elle ne sera pas entendue. En cette période troublée où la guerre Israélo-Palestinienne poursuit son cours meurtrier, ce roman de 2020 est à lire pour comprendre et faire preuve d’empathie. De là où nous sommes, dans l’époque que nous vivons, il nous est impossible, pour ne pas dire défendu, de prendre parti dans une situation que nous ne pourrons jamais viscéralement comprendre même si, malheureusement, l’Europe en général et l’Angleterre en particulier sont grandement responsables de ces troubles.
Un récit humaniste et pacifique, qui n’a pas été sans me rappeler le magnifique Apeirogon de Colum McCann, qui lui aussi insiste sur l’importance d’écouter ceux qui souffrent le plus : les civils.
Un roman essentiel…
« Peut-être était-ce cela, vieillir. Ne pas réussir à retrouver une légèreté. Chercher des excuses à son amertume. »
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