Déborah Costes
« La maladie et la précarité, ça ne se raconte pas, c’est dans les entrailles, c'est profond dans le crâne (...). ça annihile tout de l’intérieur, ça vole toute énergie, ça nécrose.»
Depuis toute petite, Déborah a des problèmes de santé. Mais depuis toute petite, Déborah a appris qu’elle gêne, qu’elle dérange, qu’elle est un poids. Alors depuis toute petite, Déborah se tait. Mais alors qu’elle a 21 ans et qu’elle est en guerre contre son corps qui ne lui répond plus, qu’elle ne peut plus assumer les dépenses de santé, qu’elle obtient sa licence en psycho sans pouvoir continuer faute de moyen, Déborah devient CamGirl. Dans le sous-sol aménagé de son père, elle se livre à cette sexualité virtuelle et tarifée. Puis petit à petit, elle fait sauter le virtuel et, pour gagner encore plus d’argent, décide de devenir Escort. Elle alterne entre l’ordinateur et les chambres d’hôtels mais dans le fond, c’est toujours la même chose : laisser autrui utiliser son corps. Vendre des prestations, gagner sa vie d’une manière certe surprenante, mais gagner sa vie quand même.
Des rencontres, des jugements, des diagnostics, un gros travail sur elle-même et sur son estime. Ses pratiques, ses spécialités, les fantasmes des clients, ceux de sa famille, ce à quoi elle s’abaisse, ce qu’elle accepte, la distanciation nécessaire entre son travail et sa vie privée, l'acceptation d’autrui. Et puis les galères administratives, le besoin de faire reconnaître son activité comme un métier, à part entière, de manière à pouvoir faire partie de la société sans vivre dans l’illégalité. Continuer de contenter les clients, faire sa promotion, faire sa comptabilité, faire ses soins, faire la pute et faire l’amour. Faire comme si. Et puis finalement, ne plus faire semblant. S’assumer (en partie) et revendiquer son métier, son identité, ses choix et sa liberté.
« Il faut n’avoir jamais manqué de rien pour romantisme la pauvreté et la décrire comme un long fleuve tranquille rempli de poésie. »
J’étais prévenue : ce n’allait pas être une lecture facile, en cela que Déborah Costes lève le voile sur une vérité que la bien-pensance préférerait laisser cachée. Les travailleurs du sexe font partie de la société, ils sont partout, cela peut-être n’importe qui, et on l’ignore. Ou on veut l’ignorer car la sexualité, c’est intime. La prostitution, c’est de la pornographie, c’est sale. Mais ce que l’auteure nous dit ici, c’est qu’à un moment donné, cela peut-être une nécessité, quand on n’a plus d’autre solution, et puis cela peut devenir un choix. C’est une offre de service, parce que, qu’on le veuille ou non, il y a de la demande.
Le parcours personnel de Déborah Costes est flippant et on ne peut qu’être en empathie avec cette jeune femme qui a le courage de dire sans détour ce qu’elle fait, pourquoi et comment elle le fait. Le fait qu’elle ait un cursus en psychologie et qu’elle ait entamé un travail thérapeutique depuis de longues années rend cet écrit très intelligent et intelligible. Elle ne veut pas taire la réalité, elle ne veut pas non plus faire pleurer dans les chaumières. Elle dissèque les tenants et les aboutissants de ce qui pousse une jeune femme à se prostituer et à en faire un métier, revendiquant le droit de disposer de son corps à sa guise. Froid, chirurgical, factuel, c’est un livre à lire pour comprendre, accepter et ne pas juger. C'est un livre qui réconcilie aussi avec un style littéraire et avec des revendications justifiées.
« Être travailleuse du sexe, c’est affirmer que mon corps et sa nudité n’ont rien de honteux ni de tabou. C’est rentabiliser tous ces regards malsains qui me dénudent...»
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