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Sans preuve ni aveu

Philippe Jaenada

Jaenada fait partie de ces auteurs pour lesquels aucune réflexion n’est nécessaire avant l’achat des ouvrages. Je vois, je prends, je verrai plus tard ce dont parle le bouquin. Celui-ci m’a tout de même interloquée par sa minceur, mais soit…


« Les pages qui suivent ne serviront peut-être à rien, mais je ne m'imagine pas ne pas les écrire, donc, voilà.»

17 mars 2004. Alors qu’ils viennent de rentrer de leur journée de travail et s’apprêtent à ressortir pour la soirée, deux jeunes garçons remarquent de la fumée qui s'échappe d’une habitation. Ils y vont, pour porter secours et voir ce qu’ils peuvent faire. Dans la cuisine, une femme âgée est étendue dans une mare de sang. Ils font ce qu’ils peuvent et la tirent de là. Les secours arrivent, trop tard, Marie est morte. Une profonde blessure derrière la tête. Sa maison est en flamme.

L’enquête commence. Les membres de la famille sont interrogés, et très vite, les soupçons se dirigent vers un homme, Alain Laprie, un des neveux de la victime. Le préféré. Celui qu’elle considérait comme son fils et à qui elle destine tout son héritage. Mais il en va des familles comme de n'importe quelle société. Des histoires, des caractères, des rumeurs, des jalousies. Marie aurait décidé de déshériter Alain. Ce dernier l’aurait mal pris et aurait pris la décision de tuer sa tante avant qu’elle ne passe chez le notaire.

Il n’en faut pas plus pour que les forces de l’ordre et les juges, qui vont se succéder de 2004 à 2021 se forgent une opinion et fassent converger tous les indices, toutes les vérités dans ce sens. En 17 ans, des expertises, des contre-expertises, des spécialistes, des auditions, des rapports, des interrogatoires, des confrontations… tout cela va s’enchaîner à un rythme de croisière puisque l’intime conviction est ancrée. C’est Alain qui a fait le coup.

En 2021, alors que Philippe Jaenada commence tout juste la tournée de promotion du Printemps des Monstres, ce colossal roman qui lui a pris plusieurs années de sa vie et qui l’a laissé sur les rotules, il est pris à parti par un libraire : vous devez rencontrer M. Laprie, vous devez l’aider. D’abord à contre-coeur puis avec toute la passion qui puisse l’habiter, l’auteur va s’emparer du dossier d’instruction, le dépouiller, l’analyser et en faire ressortir toutes les inepties.


« Il faut que j'écrive vite, on ne m'en voudra pas (non) : la littérature, parfois, tant pis. (…) car pendant que je fais des phrases, un homme fermente dans une cellule… »

Ce nouveau Jaenada est court, il va droit au but. Contrairement à ses précédentes enquêtes qui l’ont renvoyé plusieurs dizaines d’années en arrière et nous ont plongés dans des centaines de pages, celle-ci ne remonte pas si loin. Il est en contact avec la femme et le fils de l’accusé, alors derrière les barreaux. Il écrit au condamné au fur et à mesure qu’il dénoue les fils. Et ce qu’il met en évidence, avec rapidité, avidité, impatience, c’est que la justice, ici, n’a pas fait son travail comme il fallait.

Sans être détective ou inspecteur, l'auteur relève dans le dossier tout ce qui ne colle pas, tout ce qui fait défaut, tout ce qui est discutable. Loin de lui l’idée de pointer du doigt le réel coupable, il ignore qui il est et ce n'est pas sa priorité : il veut surtout innocenter un homme. Il veut que justice soit faite et bien faite, correctement faite.

Il veut mettre en lumière ces cas "résolus" sur la base de l’intime conviction (ce terme revient très souvent) des enquêteurs, au mépris de toute légalité.

Un Jaenada qui nous laisse sans voix, songeur, effaré même. On n’a pas le temps de reprendre son souffle, on n’a pas 17 ans devant nous. Alain Laprie est en prison pour 15 ans. La Cour de Cassation et la Cour Européenne des Droits de l’Homme ont refusé de reprendre le dossier, faute d'éléments nouveaux. On est désarmés, désolés pour cet homme. Un doute peut, éventuellement, subsister si vous êtes sceptiques. Mais je suis, pour ma part, très rationnelle. Ce qu’explique l’auteur est sans appel, Alain est innocent.


« Une justice sérieuse et digne, honnête, ne pouvait pas l'empêcher de poursuivre sa vie sans raison valable, (...) en faisant mine, avec cynisme, de s’appuyer sur un dossier qui ne contient que du vide (…). C’est de la non-justice, de l’injustice. »

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