Benjamin Stevenson
« Demander à un écrivain où en est son livre est aussi vain que de demander à un homme d’où vient la trace de rouge à lèvres sur son col. Personne ne répond jamais. »
Quelques mois ont passé depuis que Ernest Cunningham a assisté à une véritable tuerie au sein même de sa famille. Il en a tiré un livre qui a connu un petit succès et qui lui vaut non seulement une avance pour un nouveau roman mais également une invitation à une rencontre d’auteurs à bord du Ghan, un prestigieux train trans-australien. Il espère trouver à bord l’inspiration même si, il l’avoue sans se voiler la face, un mort ou deux, ce serait d’une grande aide.
Il y a à bord, au milieu des invités, des auteurs de romans policiers, tous spécialisés : le grand nom du genre, l’ancien médecin légiste, la psychologue, la juriste, et le petit nouveau donc, Ernest. Des tensions se font vite sentir entre les plumes, mais également avec les autres protagonistes, l’agente, l’éditeur, une jeune fan…
Et c’est après un échange musclé que le grand McTavish meurt, alors qu’il s'apprêtait à prendre la parole à une conférence dans le wagon restaurant. Cette mort révèle tous les ressentiments des différents personnages et force est de constater que le décès de l’auteur n'attriste pas plus les voyageurs que cela. Mais Ernest est persuadé qu’il ne s’agit pas d’autre chose que d’un meurtre et il commence donc à mener son enquête au bord de ce train qui cache bien des secrets, auprès d’interlocuteurs pas moins opaques. Du pain béni pour le jeune auteur en quête d’inspiration et de frissons, même si cela a forcément des conséquences sur sa façon d’aborder ce voyage, entrepris avec sa fiancée.
« Le silence est un robinet qu’on a oublié de fermer : il coule et coule jusqu’à ce qu’il déborde et devienne insurmontable. »
On commence ce roman en sachant qu’il y a un lien avec le précédent. Et donc avec une certaine appréhension si, comme moi, on n’a pas lu “tous les membres de ma famille ont déjà tué quelqu'un”. Mais très rapidement, l’auteur/ narrateur nous met à l’aise. Même s’il y a effectivement des connexions, d’une elles sont expliquées, de deux elles ne sont pas capitales et n’empêchent donc pas de profiter à fond du voyage.
Présentant les codes du roman policier, les différentes manières d’aborder ce genre littéraire souvent déclassé, ce roman nous explique qu’il y a une différence entre le polar et la vraie vie. Et il nous fait rire, nous qui sommes adeptes de ce genre de romans. Des références à Agatha Christie, bien sûr, mais pas que. Des rappels de ce que nous sommes en droit d’attendre, une immersion du lecteur dans l’expérience de ce récit. Parce que la véritable leçon de ce roman, c’est qu’il n’existerait pas sans ses lecteurs. Un auteur peut en remplacer un autre, un livre n’est qu’un objet s’il n’est pas consommé si je puis dire par nous. L’enquête est effectivement prenante mais pas lourde, ni violente (je n’aurais pas de mal à le conseiller à des amateurs de cosy-mystery) mais elle est surtout très drôle et ça, ça fait du bien. J’avoue m’être parfois un peu perdue dans le who’s who des différents personnages mais cela ne dure pas. On est pris dans l’intrigue, par la main, ou plutôt par les yeux, par l’auteur qui veut vraiment nous faire une place dans son histoire.
Un moment léger et délicieux à consommer, sans honte ni modération (et je vais maintenant lire le premier…)
« Ce n’est pas l’écriture qui raconte l’histoire, c’est la lecture. »
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