Mariama Bâ

« Les enfants, en mûrissant, jugent leurs parents. Et leur verdict s'inscrit parfois sans appel.»
Dakar, années 60. Ousmane est un garçon sérieux, vivant dans un quartier pauvre de la capitale sénégalaise. Son père, ancien tirailleur, a combattu pour la France et nourrit de grandes ambitions pour son aîné qui montre des prédispositions pour le savoir et l’enseignement. Les années passent et Oussou continue assidûment ses études. Rien ne le détourne, jusqu’à ce qu’il rencontre Mireille, fille de diplomate Français, inscrite à la même université que lui. Un amour dévorant va les consumer, un amour si fort qu’il résistera à la séparation imposée par le père français qui ne peut supporter de voir sa fille éprise d’un nègre.
Quatre ans après son retour à Paris, Mireille est rejointe par Ousmane, ils se marient à la mosquée et retournent, ensemble, à Dakar, vivre leur vie et leur amour. Mais les traditions ont la peau dure, et la toubab n’est pas la bienvenue dans la communauté dakaroise. La mère d’Ousmane lui mène la vie dure, et les différences entre les amoureux, loin de se compléter, les éloignent l’un de l’autre. Mireille n’est pas chez elle, elle doit faire tous les efforts du monde pour s’adapter, pour se plier à des habitudes qui sont si éloignées des siennes si elle veut garder auprès d’elle son mari, baigné dans sa culture et son confort.
On assiste, désoeuvrés, au naufrage de ce couple atypique dans un contexte où la mixité n’est pas bien vue, symbole de l’asservissement des noirs face aux blancs, colons et envahisseurs. Personne ne voit les efforts et la souffrance qui vont, petit à petit, avoir raison de Mireille. Surtout pas Ousmane qui se complait toujours plus dans son pays, sa famille, sa communauté et ses mœurs.
« Entre prôner l'égalité des hommes et la pratiquer, il y avait abîme à franchir… »
Écrit au début des années 1980, ce roman de l’auteure Sénégalaise Mariama Bâ peut être lu selon deux grilles. L’une sous l’angle de l’impossibilité de cohabitation entre les races. L’autre sous la lumière de la puissance de l’amour qui se fout des différences et qui ronge, et qui tue, lorsqu’il est voué à l’échec.
Ousmane est cultivé, intelligent, ambitieux et courageux. Mais il est aussi faible quand il s’agit de son pays. Son amour pour Mireille, aussi fort soit-il, ne résiste pas aux assauts répétés de sa culture. Et la pauvre Mireille, qui a renoncé à tout pour son mari, pour l’homme qu’elle aime par-dessus tout, est impuissante. Le racisme est bien présent : elle, la toubab, n’est pas assimilée, pas acceptée, pas intégrée. Elle n’a pas sa place dans la famille d’Ousmane. Tous ses sacrifices ne rendront pas sa peau plus sombre, n’effaceront pas ses traits fins. Le pays, les coutumes, la foi sont plus forts qu’elle.
« La culture est universelle. La culture est un instrument de développement. Comment y accéder sans se connaître pour s'estimer, sans connaître autrui pour l'estimer ?»
Ce roman dérange parce qu’il casse les espoirs. Il dénonce l’intolérance dans l’autre sens. On a beaucoup parlé de racisme des blancs, mais ici, l’ordre est inversé. C’est la blanche qui est dépréciée, rejetée, malmenée. Heureusement, le temps a passé et même si on constate une plus grande acceptation de la mixité dans le monde en général et au Sénégal en particulier, pays tolérant s’il en est, pays du donner et du recevoir, on ne peut que trembler devant la réalité ici décrite : les différences ne s’effacent pas toujours, malgré tout l’amour du monde. Un couple n’est pas - loin s’en faut - composé uniquement de deux individus. Il intègre des familles, des communautés, des traditions. Un couple doit être fort, très fort, pour ne pas sombrer quand tout ce qui les entoure oeuvre pour séparer ceux qui s’aiment.
Une leçon d’amour et d’humilité. Une plongée dans le Sénégal traditionnel, encore meurtri par la colonisation et qui, par l’entremise de la famille d’Ousmane, le fait payer à la pauvre Mireille.
« L'amitié a un code de comportement plus constant que celui de l'amour. L'amitié peut dans un cœur dominer l'affection née des liens de sang. »
Comentarios