Colin Niel
« Maman est là, maintenant. Et l’espace d’un instant, puisqu’elle lui a dit qu’elle l’aime, il lui semble que tout est revenu dans l’ordre.»
Dix ans se sont écoulés depuis que Mathurine a été chargée de l’enquête sociale concernant Darwyne, cet enfant différent, maltraité par sa mère. Dix années pendant lesquelles elle s’est consacrée à son travail à l’Aide Sociale à L’enfance et à son fils, Wallace, tentant de lui transmettre ses valeurs et surtout son amour de la forêt, de la nature, du monde sauvage. Mais le garçon ne partage pas la passion de sa mère. Pire, du haut de ses 9 ans, il a peur de cette jungle qui renferme les mythes et les monstres des histoires de Maman.
Quand une adolescente de 14 ans, placée en famille d’accueil par Mathurine, trouve la mort de manière mystérieuse et inexpliquée, l’assistante sociale se replonge dans ses souvenirs, et notamment ceux de Darwyne. Il réapparaît dans sa vie, la bouscule dans son quotidien : la cinquantenaire n’arrive pas à s’expliquer la mort de Méryane, alors elle se demande si l’enfant sauvage, le Maskilili, n’y est pas pour quelque chose. Tiraillée entre son fils qui préfère se perdre dans les méandres de ses jeux vidéos et cet adolescent qui partage son amour de la jungle, Mathurine ne sait plus où est sa place, quel est son rôle. Et puis il y a Tiburce, le père de la jeune fille disparue. Celui-là même qui a demandé une mesure d’accompagnement car il n’y arrivait plus avec cette ado qui le provoquait sans arrêt. L’homme qui sait qu’il a été un mauvais père mais qui ne se remet pas de la perte de sa fille et qui, pour trouver une once de réconfort, va chercher un responsable dans le drame survenu.
Mathurine, Timurce, Wallace et Darwyne évoluent, chacun dans leur monde, se croisant, se perdant, s’interrogeant et se retrouvant aussi parfois. Ils interagissent les uns autour des autres, les uns avec les autres, tous avec leur part de souffrance, de chagrin et d’espoir. Mais comme les histoires entourant la forêt Amazonienne, reste à déceler ce qui est réel et ce qui relève des légendes.
« Darwyne avait ce pouvoir-là, le pouvoir de recréer la jungle. (...) elle a eu la sensation de revivre ce qu’autrefois elle aimait tant. Se perdre dans un sous-bois. Juste ça : se laisser happer par la forêt, et par l’infinie richesse des vies qui la peuplent. »
Colin Niel a définitivement un don : celui de nous immerger dans des paysages, des environnements. Quand il décrit la forêt, la tourbe, la jungle, on y est. On la (re)sent, on est entourés de bruits, d’odeurs et de sensations vives, d’émotions puissantes. Et puis il y a son amour pour les personnages brisés, amochés par la vie et ses épreuves. Darwyne le Maskilili de la forêt ; Tiburce, ce père violent et endeuillé ; Wallace qui ne comprend plus sa maman et Mathurine, qui se donne et s’oublie, qui ne se retrouve qu’au détriment de celui qu’elle aime le plus au monde. Avec une justesse, une précision extrême mais sans aucune longueur, l’auteur nous entraîne avec lui en territoire hostile, mais comme Mathurine, nous n’avons pas peur de la jungle, puisque Darwyne est là. Deux ans après notre rencontre avec ce garçon bizarre et sauvage, on le retrouve dans son élément et - narrativement - dix ans ont passé : il est devenu un presqu’adulte, n'interagissant plus qu’avec la forêt et ses habitants. Sauf qu’il porte toujours en lui le traumatisme des mauvais traitements subis et qu’il ne semble pas vouloir oublier.
A mesure que l’on comprend ce qu’il se passe entre ces quatre personnages dont trois sont les protagonistes principaux, on doute, on s’interroge, on questionne, on espère. Et on pense à ce morceau de France si loin et si différent de l'hexagone. On réalise que la réalité de la métropole ne peut se transposer de manière juste et équitable en Guyane, parce que ça a beau être la France, c’est tout de même ailleurs. Ode à la beauté de ce département d’outre mer et dénonciation d’un système inadapté, Wallace est avant tout un grand roman d’amour : amour de la nature, amour filial, amour sauvage. Un périple en terre inconnue que je vous encourage chaudement de faire, même sans avoir lu Darwyne !
« quand Maman en parle, de celui-là, c’est à se demander si elle n’aurait pas préféré avoir un fils comme lui. Un Darwyne plutôt qu’un Wallace.»
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