Tiffany McDaniel
«… sans la patience, vous serez toujours en conflit avec la tâche qui vous attend. »
Retour très attendu de l’auteure du magistrale Betty ! On ne réfléchit pas beaucoup avant de se lancer dans un roman d’une telle écrivaine quand on sait à quel point cette dernière a le pouvoir de nous bouleverser…
« Une femme difficile à apprivoiser est une femme facile à blâmer. »
A Chillicothe, Ohio, vivent Arc & Daffy, de vraies jumelles aux cheveux roux comme le feu, que seule différencie la couleur de leurs yeux verrons. Elles sont chacune la moitié d’un tout, l’eau et la terre. Nées en 1973, elles sont d’abord élevées par leur Grand-mère maternelle qui les nourrit de mythologie sur le pouvoir des femmes et de la nature. Mais elles sont ensuite récupérées par leurs parents et voient ces derniers être bouffées par la drogue.
En 1993, elles ont malheureusement suivi le même chemin. Après la mort de leur père, en 1979, leur mère a sombré toujours plus profondément dans la dépendance, s’adonnant à la prostitution pour subvenir à ses besoins, accompagnée dans sa déchéance par sa soeur Clover qui vit avec les filles et Addie.
1993, c’est aussi l’année où les corps des femmes sont retrouvés dans la rivière. Harlow d’abord, une prostituée junkie que les jumelles connaissent de loin. Puis vient le tour de Sage Nell, d’Indigo et de Violet… le tueur se rapproche d’elles en s’attaquant à leurs amies. Et plus Arc & Daffy ont peur, plus elles se réfugient dans leurs rêves, leurs illusions, leurs désirs d’ailleurs et d’autre chose.
Arc, la narratrice, a le pouvoir de brasser les mots pour transformer la réalité en quelque chose de beau, elle connaît l’Histoire et les histoires qui permettent de s’évader de la souffrance, de la violence des hommes, du chagrin des mères et de l’enfer de la dépendance. Au fur et à mesure qu’elle voit son monde s’écrouler, elle se réfugie de plus en plus de l’autre côté de la couverture, loin du côté sauvage…
« À qui pouvez-vous dénoncer les démons quand les démons sont ceux-là mêmes à qui vous allez les dénoncer ? »
Fidèle à son Etat, l'Ohio, et à sa poésie, Tiffany McDaniel nous emmène une nouvelle fois dans cet Ohio en souffrance, lieu méconnu qui regorge d’histoires. En se basant sur le meurtre de quatre femmes et la disparition de deux autres entre 2014 et 2015, l’auteure revient sur la trajectoire terrible de ces junkies pour qui on ne mène pas d’enquête sérieuse, oubliant qu’elles ont été des filles, des épouses, des soeurs, parfois même des mères.
Transposant son récit dans une autre époque, la jeune auteure reprend les ingrédients qui ont su séduire dans ses romans précédents : la violence voilée de lyrisme, l’espoir malgré les drames, et un regard jeune, parfois candide, mais jamais crédule. Arc sait exactement ce qu’il se passe, mais elle refuse de céder à la brutalité de ce qu’elle et ses proches endurent. Elle préfère se construire autre chose, elle préfère se souvenir des belles choses, fuir le côté sauvage de la vie sans l’oublier pour autant.
L’une des victimes de 2014 était une camarade de classe de l’écrivaine. Ainsi, en s’emparant d’un fait qui la touche personnellement, elle permet à l’émotion de l’envahir, elle se couvre d’imaginaire pour sauver ce qui peut l’être : la beauté du rêve et des illusions. Le tout saupoudré du jaune qui semble lui être si précieux tant il est présent dans chacun de ses romans, comme la couleur du soleil et de l’espérance, de la beauté et de l’espoir. Un nouveau roman coup de poing qu’il ne faut pas entamer à la légère : on ne sort pas des romans de Tiffany McDaniel dans le même état qu’on y est entré… Mais cette confrontation avec la sauvagerie du monde nous fait encore plus aimer la beauté de la fuite, qu’elle soit réelle ou utopique.
« La destruction n'est qu'une phase. Parfois, nous devons nous briser comme un objet afin d'être redécouvertes dans notre totalité. »
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