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Le quatrième mur

Sorj Chalando

Il est des romans qui sont aussi puissants, aussi violents, aussi douloureux que des uppercuts. “Le Quatrième mur” est de ceux-là.

1981. Georges est metteur en scène de théâtre, éternel étudiant, pion dans un lycée parisien. Il est aussi manifestant pro-palestinien. Il est de tous les mouvements, de toutes les manifestations. Il y rencontre d’ailleurs Aurore, celle qui deviendra sa femme, et Samuel, son meilleur ami, son mentor, son modèle. Son frère. Le juif grec a un rêve : monter “Antigone” d’Anouilh à Beyrouth, sur la terre en guerre du Liban. Rassembler, le temps d’une pièce, des ennemis autour d’un objectif commun, autour d’une œuvre créée en temps de guerre, comme un acte non pas de résistance mais de paix.

Sam est malade, il doit abandonner son projet, mais fait jurer à Georges de prendre le relais. Ce dernier ira donc se confronter à la guerre, la vraie. Il fera le nécessaire pour convaincre les acteurs et leurs proches, pour organiser des rencontres, des lectures, des amitiés. Confronté à l’horreur du réel, il s’accrochera à ce qu’il a laissé en France : sa femme, sa fille, son ami, sa promesse.


«Vous ne savez pas. Personne ne sait ce qu'est un massacre.

On ne raconte que le sang des morts, jamais le rire des assassins.»


Les conflits sont loin d’abord, autant pour le narrateur que pour le lecteur. Et ils se rapprochent, de plus en plus, jusqu’à nous toucher en plein cœur, en plein corps. La poésie qui enrobe la narration ne suffit plus à masquer l’horreur de ce qu’il se passe là-bas, au pays du Cèdre. Georges a tenté de nous épargner mais la réalité prend le dessus, prend son dessus. Il est touché, dans tous les sens du terme, et ne peut plus faire “comme si”. Le Liban lui a tout pris, l’a cassé, l’a terrassé, mais ne veut pas le laisser. Antigone doit être. Pour Sam, pour Beyrouth. Quoi qu’il en coûte.


C’est un roman fort, qui déstabilise par son acuité, sa véracité. Sa poésie et sa recherche artistique. Le ton et les emphases de Chalandon agacent un peu au début, mais on se rend vite compte de ce qu’il veut nous cacher, de ce dont il veut nous préserver. Antigone est celle qui dit Non, comme Sam, comme Georges, comme les palestiniens, les chrétiens, les juifs, les musulmans. Mais leur “non” n’ont de commun que la syntaxe, parce que l’objet de leur refus diffère, ce qui entraîne malentendus et horreurs guerrières. Antigone a réussi à rassembler, un peu, avant que tout n’explose. Elle a tenu son “Non,” le temps que certains apprennent à se connaître et à s’aimer. Puis elle est morte. Parce que c’est ça la tragédie. Tout le monde finit par mourir.


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