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Les Prophètes

Robert Jones Jr.

Un objet de colère. Une colère brute, viscérale, violente. Une colère chargée d’incompréhension et de tristesse, profonde, sincère, désolée. Voilà ce qu’est ce premier roman, sorti à l'occasion de la rentrée littéraire. Une lutte avec les mots, avec les maux, les coups, la barbarie, le poids de l’Histoire et la négation des identités.

« Il était plus facile de les considérer comme des animaux (...) comme des singes doués d’un grand talent d’imitation qui parvenaient à parler la langue des humains»

L’action principale se déroule dans une plantation du Mississippi, au XIXème siècle. Sur la propriété Elizabeth, aussi appelée Empty, Paul, le propriétaire prospère et règne sur son domaine, son coton, ses esclaves. Parmi ces derniers, Samuel et Isaiah, deux jeunes hommes qui vivent et travaillent en autarcie dans la grange. Ils ne font pas que vivre et travailler, ils s’aiment également. Ils s’aiment comme au temps de leurs ancêtres, ceux-là même qu’ils n’ont pas connus. Ils s’aiment comme ils savent qu’ils doivent s’aimer : par choix, par destin, avec toute leur force, tout leur cœur et tout leur esprit. Ils s’aiment et sont protégés dans leur amour, notamment par les femmes de la plantation. Ces femmes, ces héroïnes qui survivent aux coups, aux viols, aux accouchements, en dépit du respect qui leur est dû.

« Apparemment, c’était toujours aux femmes qu’il avait incombé d’être la tête ou le cœur, de jeter la première lance, de décocher la première flèche, d’ouvrir le premier chemin, de vivre la première vie. »

Et puis Amos tombe amoureux d’Essie. Et pour que celle-ci ne soit plus victime des assauts sexuels du maître, Amos va demander à apprendre les saintes écritures, à être le porteur de la parole biblique. Et c’est à partir de cette évangélisation que tout va partir à vau-l’eau, que plus rien ne sera respecté : ni les hommes, ni les femmes, ni l’amour, ni rien. Au nom d’un dieu unique qui sert d’excuse à toutes les horreurs imaginables, les pires souffrances, les pires tortures seront perpétrées. Mais le destin étant ce qu’il est, tel un serpent, il se retournera, forcément.


Avec une écriture à la fois poétique et torturée, Jones nous plonge à la fois dans la stupéfaction et dans l’horreur. Il a pris son temps et sa plus belle plume pour tailler dans le dur : homosexualité, féminisme, esclavagisme, évangélisation. Tout y passe, parfois de manière crue, parfois de façon floue, parfois même ça déborde et tout n’est pas très clair. Est-ce que cela aurait été plus simple et plus fluide en version originale, je ne sais pas. La tournure des phrases embrouille, mais les sujets abordés, les dénonciations méritent ce flou, pour qu’on ne soit pas assailli, étranglé par la violence. C’est à lire, et à réfléchir. Une opportunité d’interroger ses croyances, le pouvoir donné à ce dont rien ne prouve l’existence, et qui est pourtant la justification de tant de cruautés.

« Y’en a qui vénèrent leur douleur. Je me demande ce qu’ils seraient sans elle. Ils s’accrochent à leur douleur comme s’ils allaient mourir s’ils la laissent partir. »

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