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Deux grands hommes et demi

Diadié Dembélé

« Si l’on pouvait se balader avec sa maison sur la tête, nul ne serait étranger sur cette terre. »

Manthia est né dans un village Malien. Aîné de sa famille, seul garçon capable de travailler dans les champs avec son père, il souffre de cette condition qui lui fait supporter beaucoup plus de travail que ses amis et voisins. Mais il persiste à honorer son père et sa mère, à faire fructifier du mieux qu’il peut la terre de son père, ancien commerçant ruiné. Une année de forte sécheresse, à la fin des années 1980, le patriarche le force à quitter le village pour rejoindre Bamako. En ville, il pourra travailler chez un cousin qui enverra du mil et des vivres à sa famille. Le jeune homme se résout à quitter sa nouvelle épouse et le foyer pour obéir, encore. Mais la crise politique frappe, et en 1991, la seule solution de pourvoir aux besoins de ses proches est de s’éloigner encore plus loin, en Europe. Alors il obtient un visa touristique pour la France et rejointSaint Denis où il devient un travailleur sans-papier, un clandestin. Puis un contestataire.

Arrêté par les forces de l’ordre, lui son histoire à un interprète Soninké, revient sur tout son parcours, toutes les années passées et les frustrations accumulées avec son ami de toujours, son presque-frère Toko. Il veut faire entendre la voix de ceux qui ne veulent rien d’autre que nourrir et aider leurs proches en étant dans les clous mais que la France rejette.


« Les larmes soulagent ce que les bras ne peuvent venger. Les larmes nettoient l'affront que l'eau ne peut enlever. »

Ce livre est un témoignage de la réalité des migrants clandestins des années 90 en France. Dans la même lignée que Samba pour la France, le roman de Delphine Coulin porté à l’écran par Toledano et Nakache, c’est la réalité de ceux qui ont quitté leur pays, déracinés non pas par appât du gain mais par nécessité de nourrir ou de soigner leurs proches. On n’imagine pas les sacrifices que ces hommes et ces femmes sont prêts à faire pour remplir leur devoir, et la ténacité dont ils font preuve ne serait-ce que pour la reconnaissance d’un pays pour lequel ils se saignent.

« Sauter le bon muret et se faufiler derrière le bon tronc d'arbre ne dépend que de notre propre volonté de survie. »

Lumière braquée sur une administration et un électorat d’extrême droite qui ne voient que ce que ces populations pourraient nous prendre sans regarder tout ce qu’elles nous apportent : les boulots que personne ne veut, les tâches ingrates, les services… Avec toujours l’envie d’être dans la légalité, sans pouvoir l’être. Combien de personnes brillantes arrivent en France sans être considérées à leurs justes valeurs ? Combien de diplômés se retrouvant éboueurs ou maçons ? Souvent dans l’illégalité et le dénuement ? Non pas parce qu’ils se complaisent dans cette situation précaire mais simplement parce qu’ils n’ont pas le choix ?

Il y a 20 ans, la vie des sans-papiers est rendue plus compliquée par la loi Pasqua-Debré qui durcit les conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France en accroissant les formalités à remplir pour rester et facilite les expulsions (entre autres). A la veille d’une nouvelle vague de migration - climatique celle-ci - le roman de Dembélé dénonce les inégalités et l’injustice de la vie qui pousse des jeunes gens à quitter leur pays pour une vie meilleure et qui, finalement, ne sont plus les bienvenus nulle-part.  


 « On peut essayer de triompher de la réalité, rêves et songes sous la main, se goinfrer d'utopies. Le tout dans une boulimie des meilleurs jours. Mais si la réalité décide de nous affamer, elle nous brise en miettes. » 

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