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Le petit Bonzi

Sorj Chalandon

« Il se dit que demain est trop près d’aujourd’hui et que les demains, tout peut arriver.»

Au détour d’une émission de radio consacrée aux sources d’inspiration des auteurs, j’entends une nouvelle fois parler de ce premier roman du journaliste et romancier Sorj Chalandon. Ma curiosité est attisée, il faut que je la satisfasse.


« Il les regarde aussi. Papa, maman. Ils sont tout ce qu’il a. Il n’y a personne en plus. Il a peur, tout vide. Il se sent tout seul pour trois.»

L’action se déroule à Lyon, en décembre 1964. Le petit Jacques Rougeron a 12 ans. Il vit avec son père et sa mère dans un immeuble au nom poétique de Mésange. Tous les jours, il se rend à l’école où il retrouve, dans sa classe de CM2, tous ses petits camarades et son maître, Manu.

Un soir d’hiver, Jacques se prépare une décoction pour guérir, enfin. Il nettoie l’herbe ramassée au pied de son immeuble, l’écrase, la pile, la fait macérer, et boit le tout. Il veut aller mieux, il veut être soigné, être comme les autres enfants, toutes les autres personnes qui l’entourent. Il veut que les mots coulent de sa bouche sans être empêchés. Il veut pouvoir utiliser tous les mots, sans détour. Il ne veut plus être bègue.

La potion ne fonctionne pas. Le handicap persiste. L’ami Bonzi est là, toujours, auprès de Jacques, pour l’aider à parler, à décider, à avancer. Pour l’aider à surmonter la peur du père parfois violent, la mère toujours transparente, les camarades moqueurs et les mots qui résistent.

Bonzi est celui qui convainc Jacques de mentir, de tenter de se rattraper, de fuir, de s’enfuir. Bonzi est l’enfant courageux que Jacques voudrait être. Bonzi est celui qui le persuadera de faire confiance à l’instituteur, cet homme si bizarre, si surprenant, si patient. Si aimant.


« … il a aimé le manque d’air dans l’asthme. Comme le manque de mot dans bégaiement. Un peu, il trouvait que l'asthme, c'était comme bégayer de l'air.»

Le premier roman de Sorj est surprenant. C’est une surprise. Quand on a goûté à la puissance du “Quatrième mur”, à la violence “D’enfant de Salaud”, à l’injustice du “Jour d’Avant”, on a du mal, au début, à retrouver dans ce Petit Bonzi la plume du grand auteur. Et c’est après qu’on se rend compte. Bien sûr que c’est hésitant, que ça s’arrête, que ça reprend, que ça se répète, que ça se perd. Bien sûr que ça part dans tous les sens, que ça mélange la réalité et les songes, que ça bloque. Que ça reprend son souffle pour mieux repartir, comme on prend son élan.

C’est une histoire d’enfant, racontée avec des mots d’enfants. C’est la difficulté d’expression d’une personne bègue, avec tout ce que ça implique de tours et de détours dans les formulations et le choix des expressions. Ça a la gravité que prennent de tous petits évènements pour des garçons seuls et apeurés. Ça a la beauté des liens qui se créent avec un maître dévoué.

Premier roman donc, pas le meilleur peut-être, mais qu’importe. C’est frais. C’est beau comme le passé peut l’être, c’est tortueux comme les petites rues de Lyon. C’est nostalgique comme les spectacles de Guignol et ça a la délicatesse d’une maman discrète, la force d’un papa pas toujours très doux mais aimant.

C’est un premier roman à lire pour comprendre tous les suivants et entrer, avec le journaliste, dans la peau de l’écrivain.


« Il se disait qu'avant de dire les mots, il les nettoierait à l'eau de pluie, qu'il les polirait, qu'il les frotterait doucement avec une soie de langue.»

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