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Les enfants endormis

Anthony Passeron

« Leur silence se briserait bientôt contre la sirène hurlante des pompiers venus sauver Désiré de sa première overdose. »

C’est au début des années 1980 que sont apparus les premiers malades. On ne connaît pas cette infection qui s’attaque principalement au système immunitaire des quatre H (héroïnomanes, homosexuels, hémophiles et Haïtiens) et qui laisse les patients sans défense face à des pathologies que l’on pensait disparues.

C’est au début des années 1980 que Désiré, fils et petit-fils de notables bouchers d’un village de l'arrière-pays Niçois part à la ville et sombre dans l’héroïne.

Pendant que les médecins de Paris, New-York ou San Francisco se démènent d’abord pour comprendre quelle est cette affection étrange, qui tue de plus en plus de gens, cette derniere s’attaque à Désiré et à sa femme Brigitte. Ils n’arrivent pas à décrocher de la drogue, comme les chercheurs n’arrivent pas à décrocher de leurs investigations. Qu’est-ce ? Puis : comment le soigner ou, du moins, ralentir la progression de la maladie? 

Au fur et à mesure que les années passent, les proches de Désiré vont subir sa toxicomanie et sa maladie. Et aux premières loges se trouve Louise, la mère, celle qui refuse de voir la réalité en face, qui refuse de voir en ce fils au prénom si évocateur un être menteur, manipulateur, victime de ses addictions. Parce qu’il n’y a pas que lui : il faut se battre pour la famille, pour la réputation, pour la boutique, et puis, plus tard, pour l’enfant qui naîtra, victime des bêtises de ses parents

Le père du narrateur, cadet de Désiré et fils dévoué souffrira toute sa vie de sa place de second : second dans l’estime de ses parents, second dans leur amour. Mais premier à s’engager pour maintenir la boucherie et s’occuper de l’enfant. 

Dans la descente aux enfers qu’est la contraction du VIH, c’est toute une famille qui sombre. C’est toute une famille qui subit et qui doit supporter les conséquences d’un mode de vie qu’on pensait réservé à ceux de la ville… 


« À défaut de remporter la bataille, on s'offrait une trêve. On retardait un peu l'heure de la défaite. »

Anthony Passeron livre dans ce premier ouvrage l’histoire de son oncle paternel, Désiré, mais également l’Histoire du VIH et des recherches qui ont permis de le découvrir, d’en connaître les effets, les résultats des tests et l’arrivée de la trithérapie, bien des années plus tard, bien des années trop tard. 

En alternant les faits familiaux et la chronologie scientifique, l’auteur met en parallèle les ravages du SIDA avec le combat de ceux qui n’ont rien lâché pour soigner ce mal inconnu et incurable. C’est une chute dans la drogue et la maladie en même temps qu’un gravissement des obstacles dans la course menée par les chercheurs, en France et aux Etats-Unis. 

Deux voiles sont levés, faisant voir ce que nous avions oublié et/ou ce que nous ignorions. D’abord les conséquences que peut avoir une telle maladie sur un village en général et une famille en particulier. La honte, la peur, le déni. Puis le combat des médecins et des chercheurs. Isolés d’abord, puis soutenus, portés par toute une équipe qui ne baissera pas les bras, effrayée par la mortalité galopante du VIH. Ce n’est pas seulement une course contre la montre, c’est aussi une course au brevet, au prestige. Une course que les chercheurs auraient sans doute préféré gagner contre la maladie. Une course qu’ils auraient sans doute préféré ne pas avoir à faire. 

Extrêmement bien documenté, ce premier roman est glaçant car à aucun moment l’espoir n’est permis pour Désiré. Mais il laisse derrière lui une enfant, une petite fille qui n’a rien demandé à personne et dont la santé est la conséquence des frasques de ses parents. Une santé qui décline au même rythme que les avancées scientifiques avancent. 

Un roman qu’il faut lire pour ne pas oublier que le SIDA est toujours là, partout. Qu’il tue, toujours, partout. Et que le travail des médecins est vital, à plus d’un titre…   


«  la vie de Désiré s'était inscrite dans le chaos du monde, un chaos de faits historiques, géographiques et sociaux. Et les aider à se défaire de la peine, à sortir de la solitude dans laquelle le chagrin et la honte les avaient plongés. »

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