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Les mangeurs de nuit

Marie Charrel

« l’existence est riche en surprises, pour peu que l’on regarde du bon côté des choses. »

En 1946, dans une forêt de Colombie Britannique, Jack est creekwalker. Il est chargé par le gouvernement de parcourir les cours d’eau pour dénombrer les poissons et aider ainsi à définir les quotas de pêche. Élevé par une amérindienne, Ellen, il a choisi cette vie recluse pour fuir les hommes, le bruit, le chagrin et la culpabilité de ses secrets.

Son chemin croise pourtant celui d’une jeune fille aux traits asiatiques, grièvement blessée par un ours. Il la sauve, indifférent à la couleur de sa peau, lui qui connaît la cruauté engendrée par le racisme. 

Cette gamine, c’est Hannah. Hannah qui du haut de sa quinzaine d’années a déjà vécu plus d’une vie et plus d’un drame. En 1926, sa mère, une picture bride, embarque de son Japon natal vers le lointain Canada où l’attend Kuma, celui qu’elle épousera en Amérique. Mais Aika tombe de haut lorsque son mari l’emmène vivre dans la forêt, au milieu des bûcherons. C’est là qu’elle donne naissance à Hannah. L’enfant est très proche de son père et, lorsque celui-ci décède, c’est le monde qui s’effondre. A Vancouver, la gamine est confrontée à la méchanceté et au racisme des blancs qui voient d’un mauvais œil la présence des japonais dans leur pays, au moment où les affrontements de la seconde guerre mondiale commencent.

S’ensuivent la déportation, l’internement, la faim et la mort, encore… La fuite salvatrice poussera la gamine aux extrêmes puis, finalement, au drame ultime et à la confrontation avec l’Ours et la rencontre avec Jack. 

Ce dernier a lui aussi connu son lot de tragédies. Orphelin de mère, il est élevé par sa belle-mère amérindienne à la mort de son père. Avec son petit frère Mark, ils apprennent la forêt, la nature, les légendes qui les font rêver. Mais Mark est enlevé par le gouvernement pour redressage, et lorsqu’il reviendra, 6 ans plus tard, il ne sera plus le petit garçon rêveur qu’il était mais un jeune homme aigri et meurtri, dont les choix seront terribles tant pour lui que pour sa famille.  


« On accueille les histoires puis on les libère en les racontant, de façon à ce qu’elles réparent d’autres que soi. »

Deux destins, deux grands accidentés de la vie qui se trouvent dans les forêts de Colombie-Britannique, siège des légendes indiennes. Dans ces pages, Marie Charrel revient sur deux grands faits honteux de l’Histoire du Canada : l’enlèvement des enfants autochtones dans les internats d’Etat (pratique en vigueur jusqu’en 1996 !) et l’internement des Japonais pendant la seconde guerre mondiale, rendant le pays coupable des mêmes erreurs que leurs ennemis. 

A travers cette fresque qui court sur trente ans, on apprend énormément sur ce grand pays à la réputation si douce. Qui pourrait imaginer que le racisme et la violence ont pu frapper ces terres ? Deux voiles sont levés. Nécessairement, douloureusement. Mais aussi poétiquement. 

Les histoires qui ont bercé Jack et Hannah ponctuent le récit, lui donnant une dimension lyrique et rapprochant ces deux personnages que tout oppose. Lui, trappeur un peu sauvage, reclus dans sa forêt. Elle, adolescente, fuyant l’internement. Ils ont tant en commun, qu’ils se reconnaissent, s’apprivoisent et s’entraident. Une manière de souligner que malgré les apparences, l’humanité nous rassemble, quelle que soit notre couleur de peau, notre passé, nos souffrances. 

La plume de l’auteure est extrêmement délicate, elle aime ce qu’elle écrit, ceux qu’elle décrit. Malgré la profusion d’informations qui peut perdre le lecteur, on se sent en sécurité, apaisé par la forêt et ses animaux, ses esprits et ses légendes. Les mangeurs de nuit nous accompagnent comme ils veillent sur Hannah et Jack. Malgré la peur, malgré le danger, malgré la violence des hommes, la forêt est un refuge pour ceux qui savent l’écouter et la respecter. 

Les sauts dans le temps d’avant en arrière peuvent faire perdre le fil mais on finit toujours pas retrouver son chemin, grâce aux détails cachés, comme autant d’indices laissés par l’auteure pour nous guider. 

Une lecture qui apprend plus qu’elle ne détend, qui offre une bouffée d’oxygène, d’Histoire et d'Humanité, malgré tout. 


« les mots ont le pouvoir d’inventer le monde (...). Grâce à eux, on peut reprendre ce que la vie nous arrache. »

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