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Ma tempête

Eric Pessan

« La mer est une enfant éclatant de rire au spectacle des bateaux en détresse. »

Deuxième coup de cœur en moins d’une semaine, voilà une belle façon de commencer l’année 2024 ! Bon présage pour les mois à venir ! 


« L’époque moderne voudrait des écrivains libres et guidés par leur seule volonté créative, ils ont toujours été des vassaux obéissants à mille maîtres.. »

Aujourd’hui, la crèche est en grève. David va devoir passer la journée avec sa fille Miranda. La petite a deux ans et demi, la maman est partie travailler au collège et David est sans emploi. L’orage gronde, le tonnerre et la foudre ponctuent les scènes d’une journée consacrée à La Tempête de William Shakespeare. C’est une pièce surprenante et pleine de rebondissements que le père va raconter à son enfant : le naufrage, l’arrivée sur l’île, les interactions entre les différents personnages. Dehors, la météo est vraiment mauvaise, parfois Miranda a peur, mais à l’abri de l’appartement, au rythme de la routine, les scènes et les actes s'enchaînent. 

Cette pièce du grand dramaturge angalis, David avait voulu la mettre en scène, voilà quelque temps. Il s’était acharné sur la traduction, puis sur la scénographie et la direction des acteurs. Mais les subventions avaient été supprimées et sans ressources financières, il n’avait pas pu aller au bout de son projet. Depuis, il ne fait plus grand chose, il n’a plus la foi, plus l’énergie, plus d’autre envie que celle de voir sa fille grandir et s’épanouir, de lui transmettre le goût des arts et du théâtre. De soigner son couple aussi peut-être, et de ne plus penser à son frère cadet. Ce même frère qui a participé activement à ce que la troupe de David n’ait plus d’aide de la part de la région, précipitant ainsi la fin de la pièce. 

Du matin jusqu'à l’après-midi, au son des intempéries, l'intermittent du spectacle avance dans ses récits : celui de Shakespeare et le sien. La réussite du dramaturge et son échec professionnel. Et en regardant son enfant, il voit aussi sa réussite : il est un père aimant, un homme droit dans ses convictions, un compagnon aimant…     


« un frère n’est en rien un ennemi ordinaire ; combattre un frère nécessite un haut degré de violence.»

Encore une lecture à l’aveugle. J’aime décidément ça, d’autant plus quand je passe un bon moment. De ce roman, je ne connaissais que le titre et l’éditeur. J’ai laissé quelqu’un d’autre choisir pour moi et, décidément, ça me réussit. Outre le fait que Pessan me donne une envie folle de me replonger dans les oeuvres de Shakespeare, il met en lumière les failles d’un système politique et sociétale qui considère l’art comme un bien de consommation. Le frère de David, politicien, prend des décisions qui portent préjudice aux petits artistes, à ceux qui ne sont pas bankables, qui ne sont pas des monstres sacrés qui rapportent. Mais comment construire une carrière et une reconnaissance si on ne nous laisse pas essayer, faire nos preuves, prendre nos marques ? C’est exactement la même problématique que pour ceux qui arrivent sur le marché du travail, mais là, on part dans d’autres considérations.

Bref, ce roman est très bien écrit, fluide et poétique. Beaucoup de belles considérations sur le rôle de père et l’importance de la culture en général, du théâtre en particulier. On sent un attachement très fort à cette pièce qui n’est pas la première que l’on cite en pensant à Shakespeare mais qui donne vraiment envie qu’on la découvre, à la lumière de l’affection que David (et donc l’auteur) lui porte. 

Cette journée de papa est aussi une journée d’acteur et de théâtre. Une journée de tempête, récitée et extérieure. Mais dont on est protégé grâce à l’amour de l’enfant et la certitude d’avoir fait les bons choix. Les éléments peuvent se déchaîner dehors, Shakespeare, Purcel et la petite Miranda nous assurent la sécurité d’un foyer. 


« Pour connaître quelqu’un, il vaut mieux lui demander de révéler l’ensemble de ses masques plutôt que de le mettre à nu.»

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