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Réparer les vivants

Maylis de Kerangal

« Ils s’étreignent, une étreinte d’une force dingue, comme s’ils s’écrasaient l’un dans l’autre, têtes compressées à se fendre le crâne… »

C’est un matin frais d’hiver sur la côte normande. Un matin prometteur de belles vagues, de houle et de remue-ménage dans les flots. Un dimanche matin, qui voit la mer envahie par trois jeunes garçons et leurs planches de surf. Simon est passionné. Il ne recule devant rien quand il a la promesse de voguer sur sa planche. Et la sortie de ce matin valait vraiment le coup d’avoir froid et de se prendre la tête avec sa petite amie.

Sur le chemin du retour, Simon et ses potes sont dans le van, il est au milieu. Le seul qui n’ait pas de ceinture de sécurité. Alors lorsque le véhicule sort de la route et percute violemment un obstacle, il est propulsé en avant, à travers le pare-brise. Hémorragie cérébrale sévère. Les secours le mènent en réanimation à l’hôpital du Havre, mais c’est trop tard. Le cerveau ne fonctionne plus. Simon est mort. Sauf que le cœur bat, que le foie fonctionne, que les reins filtrent et que les poumons oxygènent. Sauf que la mort de Simon peut sauver des vies.

Le chirurgien et l’infirmier coordinateur des greffes commencent alors le travail d’argumentation auprès des parents dévastés par la perte de leur enfant, leur fils qui avait toute la vie devant lui et qui n’a plus rien. Simon avait-il émis des souhaits ? Parlé de la mort avec ses proches ? Pris des dispositions ?

Mais qui fait ça à 19 ans ? Quel ado pense qu’il pourrait être en train de vivre ses derniers instants? Marianne et Sean vont devoir décider à sa place, accepter que ce corps si beau, si coloré, si vivant encore est en fait décédé. À qui profiterait ce trépas ? Parce que tout réside dans cette question, finalement. Commence alors une course contre la montre, une course contre la mort…


« La question (…) venait trancher la temporalité du protocole, pensée pour contrer la précipitation du drame et la brutalité de l’annonce… »

Vingt-quatre heures. C’est le temps que dure cette histoire. L’histoire d’un jeune garçon qui prend des risques dans l’eau et meurt sur la route. L’histoire d’un fils, d’un frère, d’un petit ami, d’un pote. Mais c’est aussi l’histoire de médecins, d’infirmiers, d’internes, de coordinateurs, de professionnels qui œuvrent pour que la mort cérébrale d’un individu ne soit pas la fin. Depuis que ce n’est plus le cœur qui définit le trépas, il y a encore de l’espoir pour ceux qui restent. Non pas les proches des victimes qui doivent accepter l'inacceptable mais les malades que la mort d’un autre peut sauver.

« C’est un refus, cela arrive. Il faut savoir lui faire une place, la possibilité du refus est aussi la condition du don. »

Avec une certaine froideur et la distance nécessaire pour ne pas se laisser submerger par l’émotion suscitée par l’accident de Simon et le chagrin de ses parents, Maylis de Kerangal décrit avec minutie le parcours de la mort à la vie. Le cheminement d’un cœur qui ne sert plus à Simon mais peut sauver Claire. Un cœur dont il va falloir prendre soin pour permettre à quelqu’un d’autre que ce jeune homme de continuer à vivre. Dans la douleur, les parents acceptent que la mort de leur enfant sauve des vies. Dans la douleur, une malade va accepter de recevoir cet organe sans jamais savoir qui elle doit remercier.

C’est un roman fort, chirurgical, qui ne nous épargne aucune étape dans le processus de greffe, pour nous éclairer, nous rassurer aussi. Pour nous rappeler l’importance de parler à nos proches de ce que nous voulons, de ce que nous pouvons. Personne n’est à l’abri de l’accident, et tout le monde peut devenir un héros à posteriori. Ceux qui donnent, et ceux qui font que ce don soit possible.

Un roman choc qu’il faut lire absolument, qu’il faut dire absolument, qui ne devrait jamais nous quitter…


« caisson matriochka qui recèle la poche de sécurité de plastique transparent qui recèle le récipient qui recèle le bocal spécial qui recèle le cœur de Simon Limbres, qui recèle rien moins que la vie même… »

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