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Acide

Victor Dumiot

« Les instants trop douloureux finissent en poussière. Tant mieux ! »

Jeudi soir. Elle se prépare à sortir. Elle se fait belle : maquillage, robe verte en satin. Elle descend sur le quai du métro Jussieu. Une personne s’approche d’elle et lui balance de l’acide au visage. D’abord surprise par le geste, elle est ensuite foudroyée par la douleur. La souffrance de la peau qui fond, de la brûlure qui ne laisse rien derrière elle qu’un charnier. Ses joues, son nez, ses dents, son œil… La chimie dévaste tout, elle s’écroule, s’évanouit.

Au réveil, elle se rend compte, elle réalise qu’il aurait mieux valu qu’elle meurt plutôt que de rester vivante dans cet état. Entre deux. Elle n’est plus vivante, elle n’est pas encore morte. Terrain de travail et d’expérimentation pour les médecins et le corps médical qui vont tout faire pour lui rendre la dignité qu’elle mérite mais qu’elle ne veut plus. Elle passe par toutes les phases du deuil, de son propre deuil. Les soins, les greffes, la rééducation. La transformation du corps et la perte d’identité puisque sans son visage, qui est-elle ?

Ce qu’elle ignore, c’est que celui qui l’a agressée a filmé la scène et la mise en ligne. Ô, pas longtemps, vraiment, mais suffisamment pour que l’Homme la télécharge et la regarde. Et la regarde. Et la regarde. Complètement accro au porno (et au sale !), il développe une obsession pour cette vidéo d’un peu plus de 4 minutes dans laquelle il voit une femme souffrir au delà de l’imaginable. Il ne se repaît pas de cette douleur, il n’en a jamais assez. Il voit, dans cette souffrance la preuve de la vie. L'intensité des sensations, lui que la dépression a complètement insensibilisé.

Alors il se met en tête de la retrouver. De savoir où elle est, comment elle vit, comment elle survit. Deux ans se sont passés : comment se remet-on de ça ? La reconstruction de l’âme et de l’humanité est-elle seulement possible ? Y’a-t’il de l’espoir pour lui qui n’en a plus ?


« La souffrance est comme une sorte de drap qui vous enveloppe, se serre et se resserre encore, ne vous laisse aucun répit. »

J’avais été mise en garde avant de prendre en main (et en pleine figure - c’est le cas de le dire) ce premier roman. J’étais préparée à la violence. J’étais préparée à la douleur et à la souffrance. Je n’étais pas préparée à la suite : l’espoir, la combativité, la colère, la (re)découverte de soi.

La première moitié a été une réelle bataille. Je n’en pouvais plus d’avoir mal avec elle, d’être en colère avec elle, d’être déçue avec elle. La déception d’être vivante, le chagrin de ne pas être morte. La haine de soi, de l’autre, de tous les autres qui ne peuvent pas imaginer un seul instant la violence de cette attaque à l’acide et la perte d’identité en même temps que la dissolution de son visage. Et il y avait lui aussi. Lui et sa dépression, lui et son isolement, lui et la pornographie, lui et son corps qu’il éprouve pour se sentir en vie. Son obsession pour la vidéo, pour la souffrance, pour cette femme qui fond sous ses yeux. Lui qui veut avoir mal comme elle a eu mal.

Et à la moitié, il y a une sorte de bouquet final de violence. Auquel on ne s’attend pas et qui déstabilise, qui décourage. Ce genre de passage qui pourrait faire abandonner le roman. Mais c’est mal me connaître que de croire que j’allais abdiquer ! Du coup, je me suis accrochée et j’en suis ravie. Parce que c’est après l’explosion que la tension commence à redescendre et qu’on entrevoit la possibilité d’un mieux, d’une vie nouvelle et de sensations retrouvées.

C’est donc une lecture laborieuse qui demande du courage et de la distance, mais qui reflète la profondeur derrière la prétendue superficialité. La beauté d’un visage ne réside pas uniquement dans la grâce des traits, mais également dans son existence, tout simplement. Qui sommes-nous sans notre visage ? Existons-nous seulement ? Comment panser les plaies de la perte d’identité ? C’est aussi ce qu’interroge l’auteur, l’air de rien. Un roman qui mérite qu’on lui laisse sa chance donc…


« … l’inessentiel se trouvait tout autour du papier, en dehors des lettres, des mots, des phrases, des paragraphes. »

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