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Bain de boue

Ars’O

« y’a des souvenirs qui s’engueulent avec ses sensations. »

Où sommes-nous exactement ? Dans la bauge. Quand sommes-nous précisément ? Aucune idée. Mais ce que l’on apprend au fur et à mesure n’augure rien de bon ni pour l’environnement ni pour l’humanité.

Lana et Rigal sont des pelleteurs. Ils travaillent sans relâche pour le Jardinier dans la boue.Ils dégagent des accès, sont malmenés, maltraités, mal nourris. Ils sont des esclaves. Le Puterel lui aussi est une sorte d’esclave, mais mieux loti. Il vit avec le maître dans la cahute, au sec. Il doit bien assouvir les besoins sexuels du vieux mais au moins, il a des privilèges. Il ne patauge pas dans la boue. Il est jeune, il est né-là. Il n’a jamais connu que la bauge, il ne sait pas qu’il y a eu un monde avant.

Lorsque Lana vient le trouver pour lui proposer de fuir avec son mari et elle, il n’hésite pas longtemps. Il prend la Môme, une gamine qui ne parle pas mais qui lui est dévouée corps et âme et tous les quatre prennent la tangente. Il fuit le domaine, le Jardinier, la maltraitance. Il espère aussi s’échapper de l’humidité et trouver une terre sèche.

Commence alors un périple qui va les mener tous les quatre aux limites de leurs possibilités. Lana et Rigal sont vieux, au moins 40 ans, autant dire des vieillards pour le Puterel qui, lui, n’a jamais rien connu d’autre que cette vie viciée. Ils ne sont pas souvent d’accord, mais ils s’en sortent car ils apprennent à moins se méfier les uns des autres. Et il y a la Môme, qui, mine de rien, les rassemble tous, sans que l’on sache vraiment pourquoi. Le pouvoir des enfants.

« Tu penses que t'as rien à perdre. Tu sais pas ce qu'il y a à gagner à sortir. »

Je ne savais, en commençant cette lecture, que je me lançais dans une dystopie, ce qui n’est pas mon style préféré, loin s’en faut. Je ne m’attendais pas à cela. Une écriture hachée, brouillonne, multiple, violente. Humide. On passe d’une tête à l’autre, apprenant au fur et à mesure ce que Lana, Rigal et le Puterel pense et ressent. Du voyage, de la fuite, des autres, de la Môme. De la peur. Et il y a la vieille Truie aussi, qui est un personnage que l’on a du mal à cerner, mais à laquelle on s’attache, contrairement à ce à quoi on pouvait s’attendre. C’est un roman sale. Et sans doute était-ce le but…

« Tout est possible en Théorie, mais personne a jamais trouvé le chemin de ce pays-là.»

J’ai été mal pendant la lecture, mais maintenant que je suis libérée de la boue de ce premier roman, je me rends compte que l’auteur, par son choix narratif, par sa façon de manier le langage, les personnages, réussit à nous faire nous sentir aussi mal que ceux qui subissent la bauge, le jardinier et ce monde apocalyptique et humide.

Je n’ai pas aimé être dans ce récit, mais je comprends les choix et la construction. Et c’est forte de cette réflexion d’après la lecture que je vois ce roman pour ce qu’il est : un exercice de style, une réussite : on ne lit pas seulement une histoire, on la ressent, on s’en étouffe, on s’y enfonce. La peur de se perdre, la peur de mourir, la peur de pourrir n’est pas seulement celle des personnages, elle devient nôtre également.

Alors ce ne sera pas la lecture de l’année, mais il serait de mauvaise foi de ne dire que Je n’ai pas aimé, parce qu’il y a beaucoup de choses après et que le style, la plume, la narration, sont suffisamment puissantes pour que nous soyons dans ce bain de boue…


« Je perds jamais espoir tant qu'il en reste. »

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