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Déchirer le grand manteau noir

Aline Caudet

« ça sert à rien les rêves, tout ça n’arrivera jamais, alors vaut mieux pas espérer ! »

Lucie est une jeune maman qui semble épanouie. Son mari et elle ont trois beaux enfants qu’ils aiment et choient dans un bel équilibre. Mais cet équilibre est mis à mal lorsque la jeune femme reçoit une assignation. Ses parents veulent obtenir un droit de visite sur les petits-enfants. Ils accusent Lucie d’avoir coupé les ponts de manière arbitraire et injustifiée. Elle doit les laisser jouir de leurs droits et leur confier les petits.

Commence alors un véritable parcours du combattant. Parce que cette plainte porte en elle beaucoup plus qu’une demande de droit de visite. En étant accusée, Lucie va devoir se défendre et révéler pourquoi elle refuse de voir ses parents. Dévoiler ce qu’elle a enduré de violence et de maltraitance pendant toute son enfance et jusqu’à son mariage.

Et comme elle se dévoile à son avocat, sa psy, son mari, les juges, pendant le presque quatre ans que durent la procédure,, elle nous livre son histoire.

Deuxième d’une fratrie de cinq, elle subit la haine de sa mère et l’autorité de son père. Exclue de la vie de famille, elle subit les assauts, les rejets, les menaces et le mépris. Pas de coups, non, mais une pression constante. Sa mère hurlant que Lucie doit quitter la pièce, menaçant le père de divorce s’il ne la débarrasse pas de cette fille, faisant chanter les frères et sœurs pour les liguer contre la gamine, l’isolant toujours plus, la dénigrant, la reniant, l’ignorant.

Le père qui d’abord subit la colère de sa femme puis en prend le parti. Qui veut que sa fille soit loin mais toujours sous son autorité, sous ses ordres. Qui nie en bloc les maltraitances, allant jusqu’à dévoiler des faits intimes à des cousins éloignés pour les rallier à sa cause et isoler encore plus son enfant.

Et il y a aussi l’entraide, la compréhension, l’amour d’inconnus, de camarades de classes, de cousins, de tant de personnes que cela donne le tournis. Un véritable réseau d’entraide se tisse autour de Lucie pour qu’elle puisse continuer ses études, continuer sa vie et atteindre ses objectifs pour enfin sortir du joug parental.


« … je dois lire. Lire pour ne pas craquer, lire pour oublier ma réalité. »

J’avoue avoir eu du mal à entrer pleinement dans ce récit. Marre de la maltraitance aux enfants, marre de l’apitoiement, marre de la violence. Marre, marre, marre. Et puis il y a eu un déclic. Sur le tard, juste avant la fin du roman. Sans doute lié à la vraie vie, la mienne, autour de cette lecture. Cette envie de savoir, cette envie de s’en sortir, cette envie que le gentil gagne à la fin même si il a été, est et restera une victime, comme dans Triste Tigre de Neige Sinno.

La combativité et l’abnégation de Lucie est impressionnante. Cette volonté d’être entendue et comprise envers ses parents, sa pugnacité à vouloir faire être la fille de ses parents qui pourtant lui font lourdement porter la culpabilité d’être. D’étape en interlocuteur, la jeune fille ne lâchera rien et continuera ses combats, tous les uns après les autres. Et sa rencontre avec celui qui deviendra son mari sera la béquille sur laquelle son corps meurtri par tant de souffrance psychologique pourra s’appuyer.

Il y a aussi la culpabilité ressentie par les sœurs de Lucie, elles aussi victimes de la situation dramatique de Lucie. Forcées de choisir entre leur mère et leur aînée, elles devront bien souvent la rejeter pour rester en sécurité. Un défi de loyauté aux lourdes conséquences pour des enfants.


« N'essayez pas forcément de vouloir tout réparer. Il faut vivre et aller de l’avant»

En fin de compte, j’ai été dérangée par l’écriture de ce roman. Il y avait quelque chose qui me gênait et que je n'arrivais pas à identifier. Une certaine instabilité, un manque d’équilibre. Que j’ai ensuite pointé : non seulement c’est un premier roman, mais en plus il est en partie autobiographique. Du coup, les sentiments purs sont exprimés ici : la douleur, la tristesse, la frustration, l’espoir… Et de la même manière qu’on a tendance à revivre les émotions des événements lorsqu’on les raconte après coup, on les exprime forcément à l’écrit aussi. Ces mêmes émotions qui brouillent parfois notre discours, nous font bafouiller, répéter, radoter… Aline Caudet se livre ici, elle livre son histoire, ses nombreux traumatismes qui nous écœurent tant ils sont nombreux, qui nous donnent la nausée : comment une gamine peut-elle en supporter autant ?

C’est un récit fort, à ne pas faire lire à tout le monde, mais qui donne de l’espoir dans ce qu’on y trouve de persévérance et de résilience.


« La folie ne lâche pas les hommes qui ne se remettent pas en question.»

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