Sorj Chalandon
« Un secret a toujours la forme d’une oreille. » (J. Cocteau)
Retrouver Sorj Chalandon, c’est comme retrouver un vieil ami qui a toujours une belle histoire à nous raconter. C’est toujours l’expectative d’un bon moment, que l’on attend avec impatience et qui se termine avec regrets.
« L’océan, c’est notre gardien le plus cruel. Celui qui nous surveille, qui nous épargne, ou qui nous assassine. »
1934. Jules Bonneau (comme le truand mais ça ne s’écrit pas pareil) a 19 ans. Il est pensionnaire de la colonie pénitentiaire Haute-Boulogne à Belle-île depuis ses 13 ans. Abandonné par sa mère à 5 ans, renié par son père et vendu par ses grands-parents, il doit attendre la majorité dans ce lieu soit-disant d’éducation. Dans les faits il s’agit ni plus ni moins d’un bagne. Il subit les mauvais traitements des gardiens comme des caïds, doit respecter les règles strictes et parfois absurdes de ce lieu qui fait vivre toute une communauté dans la plus grande indifférence. Il ronge son frein, tente de faire taire la colère qui le brûle et lui fait parfois commettre les actes qui lui valent le surnom de La Teigne. Dans ses rêves, il commet les pires atrocités et se réveille toujours plus misérable. C’est un gamin qu’on a mis dans la case des bons à rien, des violents et des délinquants… pourquoi faire mentir ses bourreaux ?
Un soir du mois d’août, c’est une mutinerie qui secoue la colonie. Pour un acte sans grande importance, Camille - le protégé de Jules - se fait battre comme fer par un gardien et la cinquantaine de gamins qui l’entourent se rebelle. Assez de l’injustice, assez de la violence gratuite, assez des mauvais traitements. Tous veulent en découdre et fuir. Mais tous seront rattrapés par les forces de l’ordre ou les habitants de l’île qui, pour chaque colon récupéré et livré, toucheront 20 francs argent.
Mais Jules est un dur à cuir, un courageux. Un jeune garçon loyal qui a la chance d’être découvert par un couple profondément bon. Ainsi, il va découvrir l’entraide, le respect, et l’amour. Sophie et Ronan vont être, pour Jules, des amis, des sauveurs, des parents.
« Le mal était fait. Ou le bien. Tout cela n’avait plus aucune importance. Il fallait échapper à nos actes. »
C’est en se basant sur l'Histoire de Belle-Île et sur la triste réalité de cette colonie pénitentiaire que Sorj Chalandon a créé le récit de l’Enragé. Comme dans d’autres de ses romans, il part d’un fait avéré pour le rendre non seulement connu mais en plus passionnant. En fouillant un peu sur le net, on apprend que non seulement l’établissement de Haute-Boulogne a vraiment existé mais que le soulèvement et l’évasion des 56 colons a réellement eu lieu en août 1934. Cet évènement, qui a d’abord effrayé les riverains et mobilisé les citoyens, a ensuite soulevé l’indignation et l’opinion sur les conditions de vie de ces enfants qui, pour certains, n’avaient pas commis d’autres crimes que d’être orphelins.
« ça n’existait pas, les gentils. Dans la vie il y avait les hypocrites, les menteurs, les sournois, mais jamais les gentils.»
Autour de cette nuit terrible qui a inspiré Prévert dans son poème “La chasse à l’enfant”, l’auteur du Quatrième Mur tisse une magnifique fable d’enfance brisée et de seconde chance. Jules n’a jamais connu que la défiance, l’abandon et la violence, il s’y croit condamné. Mais le destin en a décidé autrement. Et c’est alors des thèmes chers à l’ancien journaliste qui reviennent : la rédemption, la fraternité, l’espoir, la foi en l’humanité.
C’est une nouvelle plongée dans ce qui se fait de pire mais aussi de plus beau dans les rapports entre hommes, femmes, enfants, nécessiteux ou nantis. Un très beau roman, qui permet de sortir du courant autobiographique des précédents ouvrages. Preuve s’il en fallait que Sorj Chalandon parle aussi très bien de ce qui ne le concerne pas directement !
« L’ami, c’est celui qui t’ouvre la porte au milieu de la nuit sans poser de questions.»
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