Laurine Roux
Les Nuits de la lecture 2023, sur le thème de la Peur, ont été l’occasion pour moi de découvrir ce court roman, écrit au tout début du premier confinement en 2020.
« Le monde restera monde malgré l'homme et ses cataclysmes, et qu'à l'image des dinosaures nous devrions nous en tenir à cette vérité première : nous ne sommes pas grand-chose sur Terre. »
Dans un coin reculé d’un massif montagneux, on ne sait pas vraiment où dans le monde vit une famille, en ermite. Les parents, leurs deux filles. Dans leur sanctuaire végétal, ils ont fui la civilisation il y a des années après qu’une pandémie ait décimé une grande partie de la population. La maladie mortelle est portée et transmise par les oiseaux, ce qui génère une phobie des volatiles chez les quatre personnages.
Un jour, Gemma, la cadette, se trouve confrontée à un vieil homme, un inconnu au regard salace et aux mains baladeuses, qui voue aux oiseaux un amour sans limite. Enfermée avec lui dans une grotte, l’enfant va être obligée, pendant quelques heures du moins, de cohabiter avec un aigle qu’elle a elle-même blessé peu de temps auparavant.
De cette première rencontre, de cette peur apprivoisée, va découler un changement de point de vue, une réflexion, une perception différente de la vie telle qu’elle l’a toujours vécue. N’ayant point d’autres repères que cette nature et ce recul dans lequel elle est née, elle commence à douter.
Ses doutes et son questionnement interviennent au moment même où sa sœur aînée arrive à saturation. Le père est-il vraiment un si bon père que cela, les empêchant de sortir de leur zone d’ermitage ? La mère a-t-elle toute sa tête, perdue qu’elle est dans ses souvenirs de la la vie d’avant et ses obsessions ? et la vie ? se résume-t-elle à ce qui leur est imposé ?
« … je cède à ce souffle continu et fécond d’amour. »
Je ne serais certainement pas allée me promener dans ce sanctuaire si le hasard et le travail ne m'avaient pas mise sur son chemin. Ce qui donne à cette lecture une saveur encore plus intense, celle du plaisir en même temps que celle du plaisir de la belle découverte.
Cette écriture acérée comme les couteaux ciselés de Gemma, cette peur, ce huis clos, cette défiance du monde extérieur… Et l’ouverture aux questions, aux doutes. D’autres perspectives s’offrent à la gamine. L’aigle, qui a nourri tant de craintes, devient l’objet de curiosité d'abord puis d’une totale remise en question du système dans lequel elle évolue. L’oiseau n’est plus synonyme de phobie mais bien d’évasion, d’évolution, de croissance intellectuelle.
A travers lui, elle accepte que ses représentations, son monde en entier, ne soit pas ce qu’on lui a toujours dit. Ce que son père - plus exactement - lui a toujours décrit. Elle entend plus distinctement les délires de sa mère et les envies d’ailleurs de sa sœur. Elle accepte qu’il y a autre chose. Elle y aspire même. Et elle est prête à tout pour retrouver l’oiseau et la liberté qui va avec.
Malaisante car elle replonge dans le confinement de mars 2020, cette lecture n’en est pas moins extrêmement prenante. Comme beaucoup de huis clos, elle offre des portraits poussés, au fusain. Une famille, des individus, des ambitions et des visions qui divergent mais qui se taisent face à l’homme, le pouvoir, l’autorité.
C’est un roman de femmes, de filles. Un roman de libération, d’envol. Un roman initiatique qui oblige le lecteur à s’interroger et l’encourage à remettre en cause, à changer de point de vue, à questionner, à s’envoler…
« Ton amour, Mummy, est bien trop grand, et mes larmes sont trop petites. »
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