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Les droits du désir

André Brink 

« Tout un nouveau vocabulaire prolifère autour de nous sans nous demander notre avis. »

J’avais déjà lu l’auteur sud-africain, il y a quelques années et j’en avais gardé le souvenir d’une plume riche, magnifiant le sentiment amoureux dans un contexte de violence extrême, Au plus noir de la nuit. Ici, moins de sauvagerie mais toujours le désir, l’amour, la perte de la raison. 

 

«  Au fond, je suis un sentimental. Le monde n'a guère de patience pour les gens de mon espèce. »

Entre 1990 et 2000, dans la proche banlieue de Cape Town, Ruben vit seul dans sa grande maison. Magrieta, sa domestique depuis presque 40 ans, vient tous les jours et quelques fois, le fantôme d’Antje du Bengale, une esclave du XIXè fait également son apparition. Elle est l’âme de la propriété.

Lorsque l’homme de 65 ans fait une angine de poitrine carabinée, ses fils insistent pour qu’il prenne des locataires, qu’il ne vive plus seul. Débarque alors dans la vie, la maison et le cœur de Ruben la jeune Tessa. Elle va avoir 30 ans, elle est belle comme le jour, mystérieuse, cachotière et envoûtante. Entre les deux va se nouer un lien très fort, qu’un passage à l’acte sexuel casserait, raison pour laquelle la jeune femme se refuse à céder. Elle ne veut pas perdre Ruben, et ce dernier ne se rend compte que petit à petit, parce qu’il ne veut pas la perdre elle, il va perdre tout le reste. 

Dans une Afrique du Sud marquée par la violence et les conséquences des décisions prises sous Mandela, cet homme, ces deux femmes et leurs fantômes avancent dans la vie et dans les difficultés, conscients de ce que le passé a fait d’eux, de ce qu’ils ont fait dans le passé. Ce n’est pas tant de l’apartheid qu’il s’agit mais des inégalités et du climat d’insécurité qui en a découlé, un spot braqué sur le fait que même si la politique s’est apaisée en apparence, la brutalité n’en est pas moins existante, dans les foyers, dans les Townships, dans les cœurs et dans les âmes. 

La violence du désir de Ruben n’est, finalement, que le reflet de celle qui hante les rues, comme Antje hante la maison.


« L’espoir, c’est cette chose avec des plumes. »

Ruben et Tessa ont beau avoir 35 ans d’écart, le lien qui les unit est fort car il leur impose à tous les deux (à lui surtout) des limites à ne pas franchir s’ils ne veulent pas se perdre. 

Magrieta (et le fantôme d’Antje) ne voit pas ça d’un très bon œil, elle n’est pas dupe de l’excitation que la jeune femme attise chez Meneer mais elle ne dit rien, elle respecte l’ordre établi et ne se permet d’intervenir que lorsque cela a des impacts sur son travail. Antje, quant à elle, ne manque jamais de se faire sentir par Tessa quand celle-ci s’adonne à des activités sexuelles sous le toit de Ruben. 

Au-delà de cette histoire d’amour dévastatrice, c’est aussi un portrait glaçant de l’Afrique du Sud que nous offre Brink. Au delà de la violence et des coups, des injustices et des règlements de compte, on trouve dans ces pages, à travers le parcours de la domestique notamment, les désillusions après l’élection de Mandela et la fin de l’apartheid. Le sentiment qu’avant, on savait d’où venait la brutalité et que maintenant, on ne le sait plus. Que sous prétexte de rétablir de l’égalité, des injustices sont commises envers les blancs comme envers les noirs, que plus personne n’a de repère quant à sa position dans la société. 

Loin de prôner le retour du racisme et de la discrimination, André Brink clame plutôt qu’il faudra du temps au pays pour trouver son équilibre, pour se situer et s’épanouir, à l’image de Tessa qui commet connerie sur bêtise, imprudence sur bévue jusqu’à ce qu’elle prenne conscience du danger qu’elle représente pour elle-même, pour Ruben et tout ceux qu’elle aime.

Une histoire belle et terrible, celle d’un pays métaphorisé dans une romance vouée à l’échec : le passé ne peut pas aimer et freiner le présent, il lui faut laisser la place au futur… 


 « Nous avons peut-être autant besoin de nos fantômes qu’ils ont besoin de nous. »

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