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Où vont les larmes quand elles sèchent

Baptiste Beaulieu

« Les larmes, c'est un truc inutile contre la mort, mais qu'on n'a jamais cessé d'essayer quand même. »

Il y a des livres qui vous attirent, sans que vous sachiez vraiment pourquoi, et qui s’avèrent être des rencontres extraordinaires… celui de Baptiste Beaulieu est de ceux-là…


« C'est un don précieux, permettre aux autres de lâcher prise. Certains savent calculer des racines carrées de tête, moi, je vide les gens de leurs larmes.»

Jean est médecin de famille. La trentaine, quelques kilos en trop, un vélo pour les visites à domicile et plus de larmes. Plus rien. Il ne sait plus pleurer depuis qu’un petit garçon est décédé d’une crise d’épilepsie et de six minutes de retard. Six minutes qui auraient peut-être pu le sauver mais qui ont été perdues comme le SAMU s’était perdu en allant chez lui, parce que sa mère aimait trop son fils.

Jean a quitté l’hôpital après ça. Il s’est installé dans ce cabinet où tous les jours, il reçoit les patients et tente de les réparer, de les nettoyer, de les soulager. Il s’interroge sur la justice de la vie qui peut quitter n’importe qui n’importe quand, qu’on soit vieux et en phase terminale du cancer ou jeune et victime des coups de son mari.

Il parle de ses rencontres, des malades, du médecin qu’il est et de celui qu’il aimerait être. Il nous offre sa vision du monde : les hommes sont des brutes, les femmes sont des victimes en puissance, même les plus combatives et les plus fortes. Les enfants détiennent la vérité. Et la résilience, ça fatigue !

Auprès de ses patients, il ne cache pas son homosexualité, mais n’en fait pas étalage non plus. Du coup, ça facilite les rapports avec les femmes qui ne voient pas en lui un danger potentiel et ça fait peur aux hommes. De fil en aiguille, un cas après un autre, une mort après une guérison, il revient sur son rapport à la masculinité justement. Il méprise les hommes. Pour leur incapacité à prendre soin des autres et d'eux-mêmes. Pour leur capacité à briser les femmes qui les aiment.

Et toujours, toujours, ce désir de pleurer, lui qui n’a pas versé une larme depuis des années. Parce que pleurer le laverait de son chagrin, de sa colère, le consolerait de son impuissance à sauver tout le monde et qu’enfin, il se sentirait un peu plus vivant.


« Rétablir la symétrie entre soignant et soigné, c'est aussi épouser les choix du patient, (…). C'est savoir s'effacer derrière sa vérité, et accepter de ne pas toujours avoir raison. »

Voici donc un livre comme je les aime profondément. Véritable témoignage de ce que la vie peut avoir de plus moche, voilé par l’espoir et le bonheur. Le quotidien des médecins de famille est loin d’être à envier, mais Baptiste Beaulieu le magnifie. Tout n’est pas merveilleux, ça c’est clair! Entre les maladies incurables, les femmes battues, les enfants qui meurent, les hommes agressifs, les désillusions sur le genre humain, j’en passe et des pires… Mais trouver dans chaque petit plaisir une raison de continuer, de se lever le matin, de réparer et nettoyer ces corps en les respectant comme parfois personne ne les a respecté auparavant. Écouter les chagrins, sécher les larmes, faire rire, faire pleurer aussi, pour assainir et alléger. Trouver du réconfort auprès des patients et leur en apporter.

Malgré une critique acerbe du manque d'accompagnement psychologique et de soutien dans le cursus de médecine pourtant si prestigieux (soixante minutes consacrées à l’annonce d’un diagnostic fatal… sur 12 ans de formation), l’auteur décrit un médecin merveilleux. À l’image de Martin Winckler, il préconise une médecine qui soigne avec des gestes, des traitements. Mais aussi et surtout par l’écoute et par les mots. Ces mots qu’il a dû apprendre tout seul, en se confrontant aux malheurs de ses patients. Ces mots qu’il doit trouver en gardant à l’esprit que l’autre n’a pas forcément besoin d’entendre ce que lui aimerait qu’on lui dise. Ces mots qu’il trouve, des fois, comme une fulgurance et qui atteignent les objectifs.

Si je n’avais pas déjà un médecin traitant au top, je crois que je remuerais ciel et terre pour être suivie par Jean ! En tous cas, cette lecture m’a fait du bien, elle m’a ouvert un peu plus les yeux sur le quotidien des docteurs. Pensez à demander à votre praticien comment il va la prochaine fois que vous le voyez. Ça n’a l’air de rien, mais lui aussi existe, et lui aussi mérite qu’on l’estime.


« Le malheur est une variation comme une autre des hasards naturels. (…). C'est la preuve que le monde ne nous ment pas »

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