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Silence du Choeur

Mohamed Mbougar Sarr

« L’horreur avait restreint les possibilités de la langue, réduit le vocabulaire à quelques termes, aspiré dans un trou noire presque tous les mots. »

Festival du Livre de Paris, une nouvelle fois. Alors que j’attendais patiemment pour obtenir ma dédicace du Goncourt 2021, quelle n’a pas été ma surprise de constater que ce roman, écrit en 2016 et introuvable jusqu’alors était publié et devant moi ! Bonheur, allégresse et émotion… Je me suis jetée dessus comme une lionne sur une antilope.


« L’empathie… on a inventé ça pour se donner bonne conscience. Oui. Pour supporter le fait qu’on ne peut jamais sortir de soi et se mettre bâillent à la place d’un autre. C’est la plus vieille illusion du monde. »

Altino, Sicile. Dans ce petit village siège une antenne de l’association Santa Marta. L’équipe de cette dernière accueille du mieux qu’elle peut les Ragazzi, c'est-à-dire les immigrés clandestins qui viennent chercher refuge en Europe, en passant par l’île italienne, salle d’attente du continent. Cette année, ils sont 72 à être arrivés. Cet arrivage est vécu par certains comme une invasion : qui sont ces hommes qui viennent prendre l’argent et le travail des italiens, des européens, alors que ces derniers ont du mal à joindre les deux bouts ?

Les avis sont partagés mais acharnés. Les employés de l’œuvre caritative sont motivés, bien que le découragement les guette devant les actes de sabotage, de harcèlement, les longueurs administratives.

Insulaires et migrants se jaugent, se jugent, autour de personnages charismatiques : le couple d’artistes, le vieux prêtre aveugle, son ami le poète en grève d’écriture, le médecin démissionnaire, la belle Lucia qui a perdu la parole, Sabrina la trépidante présidente de l’association… Et il y a aussi le maire plus ambitieux que véritablement humaniste, l’amoureux déçu devenu l’ennemi proclamé de la cause et meneur des Ultra, fascistes et xénophobes qui sèment la peur chez les habitants comme chez les arrivants.

C’est une danse ou, mieux, un match de foot qui se joue. L’avantage va d’une équipe à l’autre. On ne sait pas quel sera le score, mais on vibre, on tremble… Les esprits s'échauffent, les mains sont moites, chaque chapitre est une action décisive.


« … Une vie pour faire entrer Dieu dans sa vie, trois jours pour l'en expulser. Soit le cœur de l'homme est inhospitalier soit la foi est un service tarifé.»

Dernier roman de Mbougar Sarr qu’il me restait à lire, Silence du Chœur est celui avec lequel j’aurais aimé découvrir ce jeune auteur. J’ai beau avoir fait sa connaissance avec La plus secrète mémoire des hommes, Goncourt 2021, c'est-à-dire dans les meilleures conditions possibles, je pense que c’est dans ce village de Sicile que j’ai le plus apprécié l’écriture, la plume délicate et intelligente du sénégalais.

Je ne compte pas le nombre de fois où j’ai dû poser le livre pour prendre le temps de réfléchir aux problématiques soulevées, aux phrases gorgées de sagesse et de philosophie, aux émotions et aux douleurs des personnages, qu’ils soient migrants ou non.

Plus abouti, plus fin que Terre Ceinte qui était pourtant déjà brillant, ce second roman est, à proprement parler, humaniste. Je sais que ce mot prête à confusion et que sa définition est ambigüe - particulièrement pour l’auteur - mais c’est ce qui me vient en tête de suite. En se plongeant dans les vécus, les épreuves, les voyages de ces hommes qui voient en l’Europe une opportunité de s’en sortir, Mbougar Sarr nous met, nous Européens, face à l'hypocrisie de la situation. Après avoir colonisé, tiré profit, pressé comme des citrons les terres fertiles de l’Afrique, l’homme blanc est parti, laissant là les habitants sans plus rien, si ce n’est l’envie de s’en sortir sans en avoir les moyens. Et maintenant, il faudrait fermer les portes ? Refuser à ceux qui ont été spoliés le droit de venir chercher un peu de la réussite qu’ils ont contribué à bâtir ?


« Le drame qui nous révèle l’horreur du monde est bien souvent celui qu’on finit par admettre le plus facilement. »

Encore une fois, il est question d’empathie bien sûr, mais pas d’apitoiement. Il s’agit de réfléchir, d’analyser non pas froidement mais factuellement une situation : de l’ignorance naît la peur, de la peur naît la violence, le désir de vengeance… Et au milieu de tout ça, toujours, il y a un peu (ou beaucoup) d’amour : de celui qui sauve ou de celui qui condamne.

Mbougar Sarr m'énerverait presque tant il est talentueux, s’il ne me fascinait pas tant par son écriture et sa sensibilité qui transpire dans chacun de ses mots. Son érudition et son intelligence - cognitive et émotionnelle - transpercent et forcent la réflexion, tout en douceur.

J’attends le prochain… impatiemment…


« La mort n’est jamais repue. Elle est toujours en manque de vivants, c’est sa raison d’être… »


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