Neige Sinno
Voici un récit de la rentrée littéraire que je m’étais promis de lire. Conseillée par ma meilleure amie, il vient en plus de gagner le prix Femina, ce qui n’a fait que renforcer mon intérêt !
« J’ai compris que ce n’est pas l’espoir qui fait vivre : il n’y a aucun espoir (…). Mais l’instinct, l’esprit de conservation - ce qui fait vivre l’arbre, la pierre, l’animal. »
Neige Sinno a été violée par son beau-père, le mari de sa mère, pendant de nombreuses années. Enfant, elle ne voulait pas de cet homme dans sa vie, alors pour se faire accepter et aimer de la petite fille qu’elle était, l’homme a abusé d’elle pendant des années.
L’auteure revient sur la rencontre du couple, sur la manière dont cet homme est entré dans leur existence à sa mère, sa petite sœur Rose et elle. Elle raconte les premières approches, les premiers attouchements, les premiers sévices. Elle raconte pourquoi elle a décidé, à l’âge de 21 ans et partie de chez elle depuis quatre ans, de tout dire à sa mère et de finalement déposer plainte contre son bourreau qui n’a nié aucun acte à part un.
Cette violence subie (et subite aussi bien que longue) a forgé la femme et la mère qu’est devenue Neige. Elle a participé à sa conception du monde et des personnes qui l’entouraient à l’époque et qui l’entourent aujourd’hui. Elle l’a conditionnée à voir le monde différemment de ceux qui n’ont pas été victimes, de n’importe quelle attaque. De ses 7 ans à ses 14 ans, dans quelque soit lieu, quelle que soit les circonstances, au nez et à la barbe de tous ceux qui étaient présents mais aveugles, celui qui n’est jamais nommé a fait de Neige une compagne de fantasme, un objet sexuel, un jouet avec lequel il pouvait expérimenter ses plus noirs desseins.
La véritable question que pose Neige Sinno et dont on n’a pas la réponse est « Pourquoi? »… et c’est une question on ne peut plus légitime.
« Être un monstre, une fois que la société vous regarde, c’est être un sous-homme, mais quand personne ne vous voit c’est l’inverse, vous êtes un roi. »
Je ne m’attendais pas à ça, c’est le moins que l’on puisse dire. Je dois avouer m’être dit qu’une autre histoire de violence sexuelle, une autre victime qui libère la parole, ça commençait à bien faire (Mea Culpa). J’avais besoin de légèreté et de bonne humeur et je me suis retrouvée plongée dans un calvaire et de la souffrance. La souffrance d’une enfant, la douleur d’une femme, la peur d’une mère. Toutes trois réunies en une seule et même personne.
Il ne s’agit pas d’un roman, mais pas non plus d’un essai à proprement parler. Ce n’est pas de l’auto-fiction ni de l’écriture thérapeutique. C’est plus que ça. C’est une analyse d’une situation spécifique et, à travers elle, de situations systémiques. Agrémentée de nombreuses références littéraires (Carrère, Morrison, Despentes, Ernaux, Angot et j’en passe) et journalistiques, Neige Sinno met en lumière la nécessité de changer de regard sur les victimes, même si ces dernières sont forcément conditionnées par ce qu’elles ont enduré. Elle invite également à s’intéresser aux coupables ainsi qu’à la justice qui fait qu’avant la dénonciation et l’accusation, un individu est considéré comme innocent (jusqu’à preuve du contraire) et qu’une fois sa peine purgée, il peut également prétendre à la même innocence, du fait qu’il a payé sa dette à la société. Sauf que ceux qui subissent et ont subi devront, toute leur vie, porter le fardeau des sévices.
C’est un regard neuf, une autre perspective avec une volonté non pas de se lamenter mais de comprendre pour avancer. De puiser chez les autres une force et une inspiration pour ne pas s’apitoyer. Ne pas nier le statut de victime mais ne pas être que cela. L’auteure réussit à surprendre : à émouvoir bien sûr, mais aussi et surtout à faire grandir et réfléchir sur un mal malheureusement trop répandu et pas assez dénoncé.
« Quand on a été victime une fois, on est toujours victime. Et surtout, on est victime pour toujours. Même quand on s’en sort, on ne s’en sort pas vraiment.
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