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Ceci n'est pas un fait divers

Philippe Besson

« Ce souffle, même court, même déformé, était le sien, ça ne faisait aucun doute. Je ne pouvais pas me tromper. Ça avait à voir avec l'intimité. C'est même la preuve de l'intimité, ce genre de certitude. »


Un soir, le téléphone sonne, le narrateur répond. C’est sa petite sœur de 13 ans. D’abord elle ne dit rien. Puis, comme une massue, elle assène que « papa a tué maman ».

Effarement, choc, tristesse. Sauter dans le TGV pour rejoindre Bordeaux, tout quitter pour sauver ce qui peut l’être. Et grandir d’un coup d’un seul, au rythme des démarches : reconnaissance du corps, organisation des funérailles, confrontation avec ce père qui a privé deux enfants de leur mère.

Le narrateur n’a que 19 ans et toute la vie devant lui. Comme Léa qui a assisté au drame et dont la vie s’est arrêtée en même temps que celle de sa maman. Celui qui raconte le drame raconte également la descente aux enfers de ceux qui restent, l’impossibilité de se reconstruire. La prise de conscience que cet homme qu’ils appellent papa a toujours eu un comportement malsain et verbalement violent envers leur maman qui a encaissé, baissé la tête, enduré pour protéger ses enfants et sauver les apparences.

Le récit revient sur les humiliations, les dénigrements et les premiers coups. Sur le courage de cette femme qui a voulu se sauver, protéger sa fille, et qui a perdu la vie en voulant en trouver une meilleure. 17 coups de couteau. Pour avoir voulu partir.

Et ceux qui restent sont livrés à eux mêmes et à leur souffrance, au choc, au désarroi et à la vie qui ne s’arrête pas parce qu’une femme - leur maman - a été tuée par un homme - leur papa.


« il faut plonger dans les profondeurs pour comprendre ce qui se passe à la surface. (…)

l'invisible est plus parlant que le visible. »


Philippe Besson, comme à chaque fois, mêle dans ce roman le plus fort (l’amour) au plus abject (le féminicide). Après avoir dévoré la découverte de son homosexualité et voyagé dans un train à la destination funeste avec cet auteur autant prolixe que talentueux, je fais face à la violence conjugale et c'est avec brio et délicatesse de ce sujet si difficile.

Ce frère et sa jeune sœur sont les victimes collatérales de la mort de leur maman, au même titre que leur grand-père maternel qui assurera du mieux qui peut pour les aider, les aimer, être là parce qu’ils sont tout ce qui lui reste et il est le seul qui leur reste.

200 pages, c’est court, mais bien assez pour décrire cette descente aux enfers de ceux qui (sur)vivent après un tel drame. Combien de femmes sont tuées tous les ans sous les coups de leurs maris/ conjoints/ amants ? Et combien d’enfants, de parents qui doivent vivre avec ce fardeau, ce chagrin, ce défi de loyauté aussi. Parce que ce n’est pas un inconnu, une maladie ou un accident qui les a privé de l’être aimé, non, c’est un autre être aimé.


« Une femme battue, c'est moins important qu'un chien perdu ou une voiture emboutie, c'est ça? »


On assiste impuissants, page après page, au combat de ce gamin de 19 ans qui rêvait d’être danseur d’opéra pour sauver celle qui peut peut-être l’être : sa petite sœur. Et qui se rend compte que face à ce qu’elle a vu, ce à quoi elle a assisté et ses souvenirs, il ne peut rien. Un câlin, un cadeau, une promenade, rien ne peut soigner le chagrin de cette enfant. Sa vie est détruite comme celle de sa mère, mais Léa est vivante.

Roman très fort donc, qui émeut et fait réfléchir aux conséquence des féminicides : non seulement cette femme est décédée, mais ses enfants ne vivent plus non plus… enfin plus vraiment.


« nous n'étions que des victimes collatérales. Pour cette raison, on nous priait d'être des victimes invisibles et silencieuses. Et j'ai refusé de me résoudre à cette invisibilité, à ce silence. »


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