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L'épaisseur d'un cheveu

Claire Berest

« c’est ça l’autre au fond, beaucoup d’histoires racontées après coup. Même celles que l’on vit ensemble, on se les raconte après coup. »

Deux ans après Artifices qui m’aura permis de découvrir sa plume colorée et tourmentée, Claire Berest revient avec un court roman qui ne sera pas sans laisser de traces.

« Les contraires s'attirent parce qu’ils se rassurent et colmatent les brèches. L'adversité est incroyablement vivifiante. »

Étienne est correcteur à temps partiel dans une petite maison d’édition parisienne. Très organisé, sa méticulosité s’applique aussi à son emploi du temps et à son couple. Sans enfant, dans la petite quarantaine, Vive et lui naviguent dans un quotidien très culturel : elle est photographe et travaille au service d’artistes. Des expositions, des vernissages… tous les mardis, des concerts de musique classique, tous les étés, l’Italie. Mais ce quotidien si bien calibré pèse à la jeune femme et dès le lundi, il y a des couacs dans les rouages pourtant bien huilé du couple. De réflexions en engueulades, on se rend vite compte qu’Etienne n’est pas facile à vivre.

Le vendredi, Vive est morte. Les procès-verbaux et les auditions au commissariat ne laissent aucun doute sur la culpabilité du mari. Que s’est-il passé cette semaine ? Comment la routine, les habitudes, le confort de ce couple solide ont-ils pu se fissurer au point d’aboutir à la mort de l’épouse adorée ?

On assiste, en observateur, à la montée en puissance des doutes, de la paranoïa, de la colère, comme à un feu d’artifice au bouquet final mortel. Et Etienne, que l’on pouvait prendre de pitié, devient celui que l’on déteste. Aussi parce que l’on sait, dès le début, ce qu’il a fait, même si on ignore pourquoi…

« Elle aurait voulu pouvoir voler quelque chose d’elle à quoi elle n'avait pas accès.»

Il est particulièrement difficile de résumer ce roman sans dévoiler quoique ce soit qui nuise à l’intrigue. Même si, comme beaucoup de romans américains récents, on sait dès le début que quelqu’un est mort et qui l’a tué, on n’imagine pas ce qui a bien pu se passer en quelques jours pour pousser Etienne à s’en prendre à son épouse.

Et à la force de l’écriture de Claire Berest, on se rend compte qu’il ne s’agit pas, en fin de compte, d'un si court laps de temps. Le mal est ancré depuis bien longtemps. Mais c’est aussi quelque chose qui fait peur : comment tout peut-il basculer en si peu de temps ? Comment peut-on se voiler la face sur les dysfonctionnements de son couple pendant tant d’années ? N’est-on jamais à l’abri d’un pétage de câble ? A-t’on, sur soi, suffisamment de recul et d’objectivité pour assumer nos actes, même les plus terribles ?

Etienne est sans aucun doute possible une personnalité psychologiquement instable et, pour l'avoir supporté si longtemps, on peut s’interroger sur Vive également. Arriver au carnage, à la fin violente qui s’annonce un jour après l’autre est effrayant, pour ne pas dire oppressant. Et, comme un élastique que l’on étend petit à petit, Berest maîtrise parfaitement cette mise sous tension qui va crescendo…

Ajoutons à cela que, comme dans ses précédents romans, l’auteure met de la couleur là où on ne l’attend pas (ici dans les mots) et que l’art et la perte de la raison sont omniprésents. On retrouve la patte de l’artiste, si je puis dire, ce à quoi on la reconnaît et ce qui fait qu’on aime ce qu’elle écrit, comme Etienne aime Vive. A la folie.

« On ne sait jamais ce que l’autre pense, on passe notre temps à fabriquer des images avec les mots, des images incompréhensibles qui tentent de flotter jusqu’à l’autre et qui se noient. »

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