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Le Dossier M - 5 Jaune (La vie)

Grégoire Bouillier

« Il faut parfois se battre contre les œuvres pour les aimer et les suivre jusqu’au bout. »

Où en étions-nous ? Seulement cinq tomes, déjà cinq tomes, encore un tome. Après que M l’a congédié de sa vie, le narrateur, persuadé d’avoir été condamné à dix ans de Malheur, tente d’occuper le temps de sa peine sans réussir à chasser de sa tête et de son coeur la femme aimée et perdue.


« La Littérature, voilà encore un fichu culte que la bourgeoisie a inventé pour se croire supérieure et impressionner les pauvres. Il s’agit d’une imposture.»

Après avoir cédé à de nombreuses lubies et autres obsessions, il est temps de regarder la vérité en face. Au même titre que Frédéric s’autorisa d’autres amours en attendant Mme Arnoux dans l’Education Sentimentale, notre héros se sait dans la capacité d’aller voir ailleurs et s’abandonner auprès d’autres femmes à défaut d’avoir M. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il s’en donne à corps joie, puisque le cœur, de toute façon, ne cède pas (elle était facile celle-ci). D’une demoiselle à l’autre, il s’autorise les frasques sexuelles les plus débridées comme les plus déprimantes. Refuse de s’engager et de donner plus que son corps et un peu de son temps. Point trop n’en faut.

Et c’est ainsi que se déroule toute la première partie de ce jaune (cocu?). Des femmes, des rencontres, du sexe, des sorties, des anecdotes invraisemblables, de l’alcool un peu de viagra et - finalement - une prise de conscience. Va-t’il passer son temps à cela ? Pendant dix ans ? Sans protection ? Sans considération pour celles qu’il blesse ? On ne le saura pas puisque la seconde partie est de nouveau consacrée à ses lubies et ses manies. Ses pulsions dépressives, sa peur, ses angoisses, la modification de son comportement et son envie d’en finir, plus ou moins directement. A ce stade du récit, on est en droit d’espérer voir le bout du tunnel, tunnel duquel on a tout de même peur de sortir…

« Le boulet qui ne fait que nous frôler, il ne nous met pas du plomb dans le crâne, non, il nous donne encore plus envie de tromper la mort. Il nous donne l’illusion de l’invincibilité.»

Après une première partie franchement olé-olé et à la limite du burlesque, on retombe dans un état dépressif qui, je l’avoue, ne m’avait pas manqué. Mais il y a des signes encourageants. Des réflexions profondes sur l’intention initiale de l’art, sur les mécanismes humains et le fonctionnement d’une société. Parce que malgré son activité sexuelle débridée, le narrateur est comme extérieur au monde qui l’entoure, ce qui lui permet de l’observer, de l’analyser, de l’interroger. De la jeune fille qui prend le dernier métro dans une tenue affriolante à la femme d’âge mûr prête à droguer un homme pour obtenir un rapport sexuel en passant par l’apprentie artiste chez qui un tableau de Cézanne réveille un traumatisme vécu dans l’enfance.


« Un jour, on sait qu’on ne sera plus heureux. On sera content, ici ou là, on aura des joies, on éprouvera de vrais bonheurs, mais on ne sera plus jamais heureux. On le sait, on le sent.»

Je suis arrivée, dans la seconde partie du Jaune, dans l’essoufflement du magistral Dossier. Autant je me suis plongée entièrement, avec volupté et humour dans la première moitié, autant il a fallu que je m’accroche dur pour la seconde. Et c’est paradoxalement celui des cinq qu’il m’aura fallu le moins de temps à lire (merci les transports en communs, qui m’ont aussi plongée dans le quotidien de l’auteur). J’ai retrouvé avec plaisir ce narrateur aux pensées aussi prolixes que les aventures et à la réflexion pleine de sens malgré la tristesse qu’il couve en s’y sentant condamné. C’est une étape, m'apparaît-il, importante dans le processus de deuil de M et d’écriture du Dossier, car on y trouve également les prémices de ce qu'il va advenir après. Il y a des références et des indices qui ne trompent pas. On est dans la deuxième partie de la peine à purger et on entrevoit l’espoir de s’en sortir… Alors même si on galère avec la dépression de l’auteur et ses obsessions, il est absolument impossible de lâcher le livre ou même de sauter des pages, de peur de passer à côté de quelque chose d’essentiel… Et on se félicite, une fois le tome terminé, d’avoir été courageux, comme le narrateur l’est, parce que - tout comme lui - on se projette dans quelque chose de mieux, dans le mouvement, dans la fin des dix ans. Encore un tome, plus qu’un tome…


« Il y a, dans un baiser, tout l’amour que l’on peut donner et tout l’amour que l’on peut recevoir.»

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