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Vivre Vite

Brigitte Giraud

3 novembre 2022, 13h24, un message reçu m'avertit : “Goncourt 2022, Brigitte Giraud « Vivre Vite ».” Brigitte qui ? déjà le Goncourt ? Non non mais non, ça va pas, j’avais zappé la date. Je n’étais pas prête. Il me faut maintenant “Lire vite”...


« Quand aucune catastrophe ne survient, on avance sans se retourner, on fixe la ligne d'horizon, droit devant. Quand un drame surgit, on rebrousse chemin, on revient hanter les lieux, on procède à la reconstitution. »

Il y a 23 ans, 4 mois et 11 jours, le compagnon de Brigitte, Claude, est décédé dans un accident de moto, à Lyon, à l’angle du Boulevard des Belges et de la rue Félix Jacquier. Au moment de céder la maison qu’ils avaient achetée ensemble pour y vivre une nouvelle aventure d’adultes avec leur fils Théo, alors âgé de 7-8 ans, la veuve revient sur la série de petits évènements qui ont conduit, inexorablement, au drame de sa vie.

Si elle n’avait pas insisté pour acheter cette maison, si elle n’était pas allée à Paris, si son frère n’avait pas laissé la Honda CBR 900 dans leur garage, si Claude n’avait pas écouté ce morceau de musique à la place d’un autre. Une succession de toutes petites circonstances qui mènent à cette fatalité, la mort de son mari.

Avec des si, on mettrait Paris en bouteille. Avec des si, Claude ne serait pas mort. Avec des si, Théo ne serait pas orphelin de père. Avec des si…

C’est un récit intime et pudique, mais pas larmoyant. Avec ce retour dans le passé, sur les petits faits de ce grand drame, Brigitte Giraud retrace étape après étape les éléments qui convergent vers la seule et unique réalité, celle qu’elle aurait - qu’on aurait tous - préféré ne pas vivre.


« Le bonheur tenait à ce désir qu’on éprouvait et que l’attente aiguisait. Le bonheur c’était le peu, c’était le rare. »

Je l’ai vu ce livre, exposé sur les étagères des librairies, dans les pages des journaux, sur les réseaux. J’en ai entendu parler, rapidement, comme ça, en passant. Mais sans m’attarder dessus. Espérant tout de même qu’il damnerait le pion à Orcel dans la course au Goncourt. Ouf… Cette année, je n’étais pour personne, j’étais contre. Mais quand même, le prix de l’an dernier (La plus Secrète mémoire des hommes de Mbougar Sarr) m’ayant à ce point scotchée et celui de l’année d’avant tant déçue (L'Anomalie de Le Tellier), j’ai tout de suite été piquée de curiosité.


La force de cet écrit, c’est de parler de la mort sans être lugubre ou pesant. En 8536 jours, l’écrivaine a avancé, construit une vie sans son amoureux, avec son fils. Elle a habité cette vieille bâtisse qu’ils avaient achetée ensemble. Habité dans tous les sens du terme. C’est à la fin de son séjour dans la maison des Mercier, à la veille de la quitter, qu’elle fait le point sur ce qu’elle a vécu, les quelques semaines avant le drame, tous les petits évènements du quotidien qui auraient pu l’éviter. Mais le fait est que rien ne s’est passé comme il aurait fallu et que ce faits divers a ravagé sa vie. Elle s’est relevée mais a gardé ces questions en tête. Et si…?

C’est ce questionnement qu’elle nous offre ici. On a beau se poser toutes les questions du monde, cela n’évite pas la fatalité. Aucun retour en arrière n’est possible, il faut donc aller de l’avant. Mais poser ces questions est une catharsis, une autorisation donnée à se mettre en colère contre ce qui est arrivé. C’est finaliser un deuil, c’est mettre sur papier, ses doutes et ses interrogations, les donner, les partager, s’en délester pour pouvoir avancer, enfin.

Un récit à lire, pas trop tôt, pas dans la douleur, mais dans un désir de guérison. Un livre pansement qui mérite les honneurs qu’on lui a attribués et une bonne playlist en fond sonore.


« On peut tout faire dire à des paroles de chansons. Comme on peut trouver du sens dans n’importe quel agencement de la réalité. »

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