Chahdortt Djavann
« On a sûrement tort de sous-estimer l’audace de l’ignorance et de l’inconscience accompagnées de deux verres de vin. »
Dans mes étagères depuis déjà pas mal de temps, ce roman de l’auteure de La Muette, Bas les Voiles » et le fantastique récit Les putes voilées n’iront jamais au Paradis a été choisi dans ma PAL par mon amoureux. Excellent choix !
« c'était un curieux hasard et, comme on dit, le hasard ne laisse jamais rien au hasard, il sait bien arranger les choses. »
Roxane a environ 25 ans. Iranienne, elle arrive à Paris avec sa grosse valise et rien d’autre. Petite fille d’un homme puissant nommé Le Parisii, elle a une appétence pour la France en général et la ville lumière en particulier. Mais notre pays résiste à cette jeune femme volontaire : il lui faut apprendre les codes, la vie, les différences et surtout, surtout, la langue. Cette langue qui ne veut pas se laisser apprivoiser par la jeune étrangère qui a décidé que, de toute façon, elle gagnerait la bataille. Alors après avoir suivi les cours à l’Alliance Française, elle se forme à la langue de Molière avec les livres, la littérature. N’ayant personne à qui parler, elle ne peut mettre ses apprentissages à contribution et elle décide donc d’écrire. Mais à qui ? Elle ne sait pas comment commencer un journal et quel serait l’intérêt d’une telle entreprise. Alors elle se décide. Son interlocuteur sera l’auteur des Lettres Persanes, Montesquieu lui-même. Comme les défunts n’ont pas d’adresse, Roxane va envoyer ses missives dans les rues qui correspondent à ce qu’elle lit : Boulevard Voltaire, Avenue Victor Hugo, Rue Lamartine,...
Au grand homme, elle va confier avoir voulu fuir son passé qui ne veut pas se laisser distancer. Quoiqu’elle fasse, quelle que soit la direction qu’elle prend, sa vie en Iran la rattrape : elle ne peut échapper à ce qu’elle a vécu dans ce pays de l’oppression religieuse. Elle fait des parallèles, elle constate les écarts. Elle est confrontée à sa différence, elle qui a tant de frères et soeurs qu’elle est incapable d’en donner le nombre et de désigner celle qui est sa mère. Elle avoue son athéisme, péché mortel dans son pays natal où le seul fait d’être une femme est presque un crime.
Dans la ville lumière, Roxane pensait se trouver mais elle se perd encore plus : en se confiant à Montesquieu, elle s’embrouille dans ses souvenirs, dans ses chagrins, dans ses injustices. Elle ne peut compter que sur elle-même, en qui elle n’a absolument pas confiance.
« Mes rires amers sont plus tristes que les pleurs, je suis au-delà des pleurs et c'est pourquoi je ris »
Chaque lecture de l’auteure Iranienne est une claque. Pire qu’une claque même. Une confrontation brutale à la réalité d’un pays qui, depuis le coup d’Etat de 1979 est revenu au moyen-âge dans sa conception de la vie en général et des femmes en particulier. Un pays où la police des mœurs juge et condamne ceux qui ne répondent pas aux exigences du régime en place. Un pays où les filles sont voilées à 6 ans, mariées à 9, parfois veuves à 13. Sans pouvoir compter sur qui que ce soit.
Le parcours de Roxane est chaotique, brouillon : elle ne sait pas exactement quand elle est née, elle ne sait pas exactement qui est sa mère, elle ne sait pas exactement où est le ici et où se trouve le là-bas. Elle sait qu’elle n’est à sa place nulle part et que le meilleur moyen pour elle de supporter cette vie qui est la sienne est de se plonger dans la lecture.
Avec la soif de se trouver, elle se donne entièrement à la langue française, à l’art de vivre à la française, au mode de vie à la française, mais sans les moyens des Français qui l’entourent. Mais elle ne se laisse pas abattre, elle persiste dans sa quête de réponse et de légitimité, dans ses apprentissages et ses avancées pour être française, même si elle est consciente que cette ambition est vouée à l’échec.
De chapitre en chapitre, de lettre en lettre, la jeune femme livre ses pensées, ses questionnements, ses doutes et ses certitudes. Elle dévoile son jeu une carte après l’autre, jusqu’à ce que le lecteur comprenne pourquoi la France, pourquoi Paris, et surtout pourquoi la fuite du passé. Cela ne tient pas uniquement dans le régime politique, la souffrance est bien plus profonde, et la soif de liberté devient du coup beaucoup plus identifiable.
C’est un roman qui en remet une couche sur les différences entre l’Occident et l’Iran, entre la liberté et l’oppression. C’est un roman qui nous fait, une nouvelle fois, apprécier à sa juste valeur la chance d’être née Femme en France.
« Je courais en avant pour fuir le passé, mais il courait plus vite que moi, il m'a rattrapée. »
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