Romain Gary
« La haine ne se désapprend pas. Elle est comme l’amour. »
Depuis le temps que je voue un culte à Romain Gary, il était grand temps que je me plonge dans son premier roman, Education Européenne, écrit pendant la guerre, au fil des différentes opérations militaires auxquelles il a participé.
« La liberté est fille des forêts. C’est la quelle est née, c’est la qu’elle revient se cacher, quand ça va mal. »
Pas facile de résumer ce récit de guerre, mais on va tenter tout de même.
La guerre fait rage en Europe, notamment en Pologne et en Lituanie. Le jeune Janek, 14 ans, est caché dans un trou profond de la forêt. Il doit y attendre son père, la fin de la guerre, l’issue de la bataille de Stalingrad.
Mais le père ne revient pas, il a été chercher vengeance pour sa femme, il a trouvé la mort. Le jeune garçon, ignorant la triste fin de son papa, lassé d’attendre, sort progressivement de sa cachette et de son isolement pour rejoindre les factions de résistances qui se terrent dans les bois.
Il y fait de nombreuses rencontres qui l’aideront à grandir, à s’en sortir, à s’éduquer. Au rythme des missions dans la ville de Wilno (Vilnius), des attaques de convois allemands, des soirées au coin des feux, des contes d'un nouvel ami, étudiant en littérature, Janek progresse. Il sait que ce qui lui reste à accomplir pour devenir un homme, pour finaliser son éducation européenne, c’est de tuer un homme.
Il découvre aussi l’amour dans les bras de Zosia, une jeune femme légèrement plus âgée et beaucoup plus délurée que lui. Après s’être donnée sans vergogne et sans regrets aux officiers ennemis pour obtenir de quoi manger et survivre, elle décide de se consacrer pleinement à son jeune amoureux, son nouvel amant.
Ensemble, accompagnés de leurs camarades de lutte, ils vont traverser la guerre, la misère, les deuils, l’hiver, les (dés)illusions.
Ensemble, ils vont se cacher, avoir faim, avoir peur, avoir froid. Espérer et désespérer. Rêver d’avenir et se nourrir de leur amour, de leur chaleur et des histoires de l’ami Dobranski.
« Il n'y avait pas de "dernière fois" pour souffrir, et l'espoir n'était qu'une ruse de Dieu pour encourager les hommes à supporter de nouvelles souffrances.»
Il arrive quelques fois que les contextes d’écriture d’un roman soient plus intéressants que les écrits en eux-mêmes. Et c’est peu ou prou ce que je pensais alors que je parcourais cette oeuvre.
Au début, j’ai eu du mal à me placer, à me reconnaître dans ces lieux, avec ces noms, ces langues si différentes de ceux avec lesquels j’évolue. Mais cela n’a pas duré. Aussi parce que, contrairement à beaucoup d’autres lectures, je m’étais préparée à celle-ci. Connaissant Gary depuis longtemps, ayant découvert Tous immortels de Pavlowitch la semaine précédente, j’ai aussi avidement lu la brillante présentation de Mireille Sacotte dans Légendes du je, édité chez Gallimard.
Bref, je me suis installée, ai trouvé la bonne position et me suis laissée porter par les évènements relatés dans cette histoire de guerre, de résistance, de fraternité, d’amour, de mort et de courage. Il y a bien eu quelques phrases qu’il aura fallu relire plusieurs fois pour les comprendre, des dialogues en hébreux (non traduits) que je n’ai pas compris, mais ce que j’ai trouvé, c’est encore plus d’admiration pour le grand écrivain qu’était Romain Gary.
« Le patriotisme, c’est l’amour des siens. Le nationalisme, c’est la haine des autres »
Ce roman fait état de ce qu’il se passe au sol, alors que lui était dans les cieux. Il fait le portrait d’une jeunesse courageuse, d’une ville connue et aimée, ravagée par la faim, le froid, les allemands. Il parle de l’espoir qui porte les populations. La bataille de Stalingrad semble avoir duré trois ans, mais non. Le Partisan Nadejda, omniscient, héros parmi les héros, porte sur ses épaules toutes les espérances et encourage les troupes par ses exploits, même si personne ne l’a jamais vu. Et enfin les contes, ces cinq contes de Dobranski, disséminés dans le récit, sont autant de variation sur le thème du courage, de la foi et l’alliance. C’est aussi dans ces contes que réside la grandeur de l’Europe, de son éducation.
Je ne mentirai pas en disant que je me souviendrai de tous les rebondissements, de toutes les subtilités de ce texte "clandestin", mais il me restera la fierté, l’admiration pour cette imagination qui aura permis à l'auteur de rentrer vivant, glorieux et surtout écrivain de la guerre.
Avant, il était Roman Kacew. Il en est devenu Romain Gary.
« … à la fin, tout ce que cette fameuse éducation européenne vous apprend, c'est comment trouver le courage et de bonnes raisons, bien valables, bien propres, pour tuer un homme qui ne vous a rien fait… »
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