En ce moment, je suis en train de lire un récit inspiré par un fait divers. Et je me demande : qu’est-ce qui motive un auteur à se lancer dans cette voie ? et qu’est-ce qui nous pousse nous, lecteurs, à les lire ?
L’empreinte, d’Alexandria Marzano Lesnevich, retrace le parcours de Ricky Langley, jugé et condamné pour le meurtre d’un petit garçon de 6 ans, Jérémy. Le travail d’investigation de l’auteure donne lieu à des révélations sur son propre vécu de victime et elle alterne entre la vie de Ricky et la sienne. Sans aller plus avant dans le compte-rendu de cette lecture qui donnera lieu à un post dédié, je réfléchis tout de même à la raison du pourquoi du comment cette jeune femme s’est décidée à rédiger presque 500 pages sur ce criminel.
Et ce questionnement est valable aussi pour Truman Capote et De sang Froid, rédigé en 1965 et qui revient sur le meurtre d’une famille par Perry Smith et Dick Hickock et sur les avancées judiciaires de cette terrible affaire.
On peut aller plus loin : l’affaire Ilan Halimi, en 2006, a donné lieu à de nombreux écrits, la vie de Jean-Claude Romand a inspiré Emmanuel Carrère dans l’Adversaire, la vie de Charlotte Salomon est au cœur de Charlotte de Foenkinos, les mésaventures de Pauline Dubuisson sont au cœur de La petite femelle de Philippe Jaenada,… Les faits divers et les vécus de personnes plus ou moins célèbres sont les objets d’inspiration des auteurs, qui ne sont pas pour autant des Historiens.
Le travail d’enquête est souvent fastidieux et complet, nous révélant des détails très précis, parfois tiré des témoignages de ceux qui ont vécu l’évènement dont il est question ou qui ont connu les personnes dont il s’agit.
Emmanuel Carrère a rencontré Romand, Susan Orlean a discuté et échangé avec des pompiers, des avocats, des acteurs de l’incendie de la bibliothèque de Los Angeles dans LA Bibliothèque, Elsa Vigoureux a épluché des pages et des pages de rapports policiers et juridiques dans son ouvrage L’affaire du Gang des barbares. Et Alex Marzano a fait de même, se rendant également sur les différents lieux concernés par l’affaire sur laquelle elle a enquêté.
Mais tout ce travail de fourmi, d’une minutie impressionnante, a beau forcer mon respect, cela ne répond pas à ma question du pourquoi.
A un moment donné, c’est la question qui s’impose : Pourquoi ? d’où viennent l’intérêt, la curiosité et la motivation ? Truman Capote a investi tellement de sa personne et de son temps, il s’est tellement attaché à Perry Smith qu’il a risqué de tout perdre. Il s’est fermé à tout le reste.
Jean-Claude Romand a été le déclencheur d’un épisode dépressif très profond chez Emmanuel Carrère qui le poursuivra des années et des années, dont il parle avec brio dans Le Royaume et surtout Yoga.
Une des réponses est peut-être la suivante : il se passe tellement de choses dans la vraie vie, des choses tellement rocambolesques, tellement absurdes, tellement extraordinaires qu’elles méritent qu’on s’y penche. Mais à force de faire ressortir ce qui sort de la « normale » si je puis dire, le risque c’est la banalisation de la violence et des faits particuliers, qui leur font perdre leurs particularités.
Prenons un exemple concret, pour que je sois plus claire. J’ai abordé dans les lignes ci-dessus des récits sur des faits ou des personnes « extérieurs » aux auteurs, même si ces faits et ces personnes ont eu de l’influence sur les écrivains.
Mais on peut écrire sur du vrai qui nous est arrivé à nous. Par pêché d’orgueil ou par envie de s’ouvrir et de se confier, de dénoncer ou de se soigner, une personne peut livrer son témoignage sur un épisode qui lui est arrivé à lui. Et ça ouvre une brèche.
Début 2020 est sorti Le consentement, de Vanessa Springora. Pour ceux qui ne l’ont pas lu, en vrai, ça vaut le détour. Mais ce récit, cette histoire exceptionnelle n’est malheureusement plus une exception. On est désormais envahis par les témoignages de sévices et d’abus sexuels sur mineurs. Attention, loin de moi l’idée de dédramatiser ces actes odieux que sont la pédophilie et l’inceste, mais il y en a tellement que nous sommes noyés. Et ce qui relevait de l’exception est maintenant malheureusement trop commun et perd du même coup un part de son intérêt. Parce que ce qui interpelle, c’est ce qui sort de l’ordinaire. Dès que ça devient quotidien, banal, la gravité perd de son intensité. Il n’y a qu’à voir et entendre les réactions : « oh, encore une histoire d’abus sexuel ». C’est terrible. Terrible de normalité. Terrible que nous nous adaptions tellement à notre environnement et à ce qui est (sur)médiatisé que ce qui n’est pas la normale le devient, ce qui est inacceptable devient une fatalité à laquelle nous sommes habitués
Je m’égare quelque peu, parce que mon questionnement premier portait sur ce qui motive un auteur de partir du vrai pour écrire et raconter une/ son Histoire. Et qu’est-ce qui motive un lecteur à la lire. Je n’ai que des éléments de réponses, dans les deux cas, basés sur mon expérience de lectrice.
Je sais à quel point il est important d’avoir des témoignages du passé pour éviter les erreurs dans le futur. Je sais aussi que les échecs des autres peuvent nous prémunir contre des mésaventures. Je sais que les victimes (ou les bourreaux) ont besoin de s’exprimer, de se faire entendre, de se reconstruire. Et je sais que dans certaines reconstructions justement, je trouverai des outils pour mon propre équilibre et ma propre guérison (je n’aurai de cesse de remercier Emmanuel Carrère pour Yoga).
Mais certains faits divers devraient rester sinon dans l’inconnu, du moins dans l’ombre. Je sais qu’il y a des prédateurs, je sais qu’il y a des menteurs, je sais qu’il y a des violences, des agressions sexuelles, des syndromes, des maladies, des fous… Je sais que le danger guette.
Mais, je sais aussi que ceux qui prennent la plume sont parfois eux aussi pétris d’idées reçues, de représentations, et que leurs réflexions prennent la direction de leurs à priori. Peu sont ceux qui ont écrit sur Hitler avec des mots sympathiques, par exemple. Et c’est normal dans un cas comme celui-ci. Mais lorsqu’on se penche sur le cas de Pauline Dubuisson ou des filles de Charles Manson en partant du principe qu’elles sont des victimes, on mettra toutes les preuves dans notre sens, on ne traitera qu’avec des confirmations de notre propre point de vue. On en revient ici à la question de la réflexion, de l’analyse et de la confrontation des avis.
Notez par ailleurs que la fascination pour les faits divers et les malheurs des autres me dépasse quelque peu. Il y a des choses, oui, d’accord, ok, les informateurs font leur travail d’information. Mais de là à rédiger 500 pages ? De mon point de vue - qui n’engage donc que moi – le récit, le livre sur le fait divers n’a d’intérêt que s’il met en avant ou dénonce quelque chose. Par exemple, dans The Girls d’Emma Cline, il est plus question du pouvoir de séduction et du danger d’un manipulateur tel que Manson sur des jeunes filles paumées en mal d’amour et de reconnaissance. C’est aussi la question soulevée, d’une certaine manière, par Lola Lafon dans Chavirer, ou l’accent est mis sur la dépendance affective et les troubles psychologiques des enfants.
Naïvement ou de manière utopique, je préfèrerais ne pas assister à ces espèces d’effets de mode qui font que les étals de librairies ou de bibliothèques sont envahis par des livres traitant du même sujet, écrits par des auteurs qui n’en sont pas toujours, plus attirés par l’appât du gain que par la véracité de ce qu’ils écrivent.
Je préfèrerais que les barbaries restent dans la catégorie des informations, sans envahir autant la littérature. Je préfèrerais me dire que ça reste EXTRA-ordinaire, et ne pas être submergée par la résurgence, la répétition, le « encore » qui me fait prendre conscience que malheureusement, c’est du fait non plus tant divers que banal.
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