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La source de Cécile

J’ai déjà consacré des articles à des émissions, pour sortir un peu du papier, des livres. Et pourtant, je ne peux m’éloigner trop de ces tas de feuilles qui me (trans)portent.



Pour la troisième fois, c’est sur France Inter que j’ai trouvé mon bonheur. Décidément, il faudrait que je sois plus attentive à cette radio (au lieu de fuir la réalité et les informations avec Rire et Chansons), parce que ce n’est pas en écoutant la station que j’ai découvert l’émission en question (ni les autres d’ailleurs), mais au gré de mes pérégrinations sur la toile, en mode “veille active et professionnelle” (sic).

Après, donc, Ça peut pas faire de mal brillamment animée par Guillaume Galienne et “Livre et Châtiment”, dans laquelle Clara Dupond-Monod a, avec ses acolytes, déstabilisé les plus grands classiques de la littérature française, voici donc mon nouveau coup de coeur radiophonique : “La Source”, alimentée par Cécile Coulon, elle-même auteure et poète, anti conventionnelle et talentueuse à souhait.

Toute les semaines, cette curieuse va à la rencontre d’un écrivain, chez lui ou dans un lieu de son choix, sur son territoire donc, pour parler avec lui d’inspiration, d’élan créateur, de ce qui fait jaillir la source du roman, de l'œuvre. Pendant une heure, ou un peu plus, elle questionne, farfouille, visite avec les intéressés (je ne peux pas dire les invités, puisque ce sont eux les hôtes en l'occurrence) ce qui les a encouragés à prendre la plume, ce qui a nourri leur imaginaire et, de temps en temps, le fond du message qu’il veulent faire passer.

L'écrivain est à l'écoute des mots qui tracent son avenir. Edmond Jabès

C’est d’abord avec Sorj Chalandon que j’ai commencé cette immersion. Il me fallait une valeur sûre, quelqu’un avec un potentiel de sympathie déjà bien ancré. Ok, peut-être étais-je du coup conditionnée à apprécier ce que j'allais entendre, puisque Sorj n’a plus aucun effort à faire pour me séduire dans son écriture. Mais là, nulle séduction. Nulle entourloupe. Aucun “bah ouai, ça je savais”. En fait, j’ai été happée. Hameçonnée telle une sardine (la sardine se pêche-t-elle à l’hameçon? Je n’en sais rien, mais elle est plus gracieuse que la carpe, dont j’avais pourtant copié le mutisme). J’ai dû, littéralement, m'asseoir. Etre pleine et entière à ce que j’écoutais. Loin de l'interview banale et non moins intéressante à laquelle on était en droit de s’attendre, on entrait littéralement, avec Cécile Coulon, dans l’intime, dans la personnalité, dans l’auteur.

Oui, je vous l’accorde : Chalandon était peut-être un peu trop facile. Ses mots, son parcours, ses motivations, tout me captive depuis ma première rencontre avec lui au pied du Quatrième mur. Après l’écoute de La source, je me suis empressée d’emprunter Le petit Bonzi, de le lire enfin, parce qu’il en était beaucoup question et que ma curiosité avait été ébranlée, ma fierté malmenée : comment bien connaître l’auteur sans avoir lu son premier roman ? Erreur corrigée donc.


L’imagination, ce n’est pas le mensonge. Daniel Pennac

Autre essai. Je sais ce que vous allez dire : je ne prenais pas beaucoup de risques avec Laurent Gaudé. Mais davantage quand même. Après tout, je n’en ai lu que deux, des Gaudé, et pas ses prix Goncourt (Le soleil des Scorta et La Mort du Roi Tsongor) … Non non, je n’ai - pour le moment - lu qu’Eldorado, écrit en 2006 et Chien 51, sorti à la rentrée littéraire de 2022. Je connais moins cet auteur. J’ai donc plus à découvrir et en même temps, moins de curiosité (désolée pour les très grands fans, je débute dans cette relation gaudé-esque). Même surprise, même plaisir, même besoin de me poser pour être entière à ce que mes oreilles captaient. Une envie d’être dans la même pièce, à boire le café avec eux, en écoutant la même musique - effet similaire à celui ressenti ce matin avec l’écoute de l’épisode dédié à Gilles Marchand dont la lecture du Soldat Désaccordé m’a tant plue il y a quelques semaines.

Marie-Hélène Laffon, je n’en parle pas. C’était… un choc, comme à chaque fois que j’entends cette femme parler. Comme j’aurais aimé l’avoir comme prof de français, me dis-je systématiquement ! Bref.

Qu'est-ce qu'un homme si ce n'est une accumulation d'histoires vécues, rapportées, imaginées, qui, mises bout à bout, finissent par faire une vie? Laurent Gaudé

Je n’écouterai pas toutes les émissions à la suite pour vous faire un compte-rendu détaillé de mes émotions à chaque fois, je vous laisse découvrir par vous-même, avec les auteurs que vous voulez. Et puis je veux rester captivée, et pour ce faire, je dois user d’une posologie homéopathique : pas plus de deux par jour, et pas tous les jours…

Ce que je peux vous donner, par contre, c’est un avis global, basé sur les cinq rencontres et demie auxquelles j’ai auditivement assistées (oui, j’en ai mis une en pause pour pouvoir écrire, j’ai du mal à faire deux choses en même temps quand il s’agit de manier et de prendre les mots).


Je dois d’abord remercier France Inter. C’est la moindre des choses. Même si j’aurais vraiment aimé que Clara Dupont-Monod continue sur sa lancée insolente et néanmoins brillante, les trois mois passés en sa compagnie ont été un vrai plaisir. Et cela m’aura permis de découvrir Cécile Coulon. En tant que chroniqueuse donc dans un premier temps. Rien à dire : drôle et intelligente. En tant qu’auteure, notamment de Seule en sa demeure, à lire absolument, surtout si on aime les huis clos, la forêt et la folie (et Rebecca de Daphnée du Maurier), en tant que poète (merci Instagram) et enfin, en tant qu’interlocutrice avisée et percutante de ses condisciples des arts et des lettres.

Parce je suis persuadée que le fait de connaître elle-même la réalité de la vie d’écrivain joue favorablement un rôle dans ses interviews, dans la construction de ses questions, dans son approche. Elle est percutante mais jamais intrusive. Elle mène et construit ses entrevues avec finesse, elle laisse la personne - pas seulement l’écrivain - venir à elle, et du même coup à nous.

“L'écrivain est une sorte de voyant émerveillé.” André Pieyre de Mandiargues

Il y a un bémol. Parce que je ne veux pas être taxée de subjectivité. Je DOIS trouver un hic, un petit gloups, quelque chose qui me gêne (mais qui ne gênerait pas Pierre, Paul ou Jacques). Cet accroc, c’est que tous ses individus, tous plus talentueux les uns que les autres (que l’on aime ou pas leurs écrits), sont justement talentueux. Ont quelque chose que tout le monde n’a pas. Je ne parle pas des trois composantes de l’arbre du savoir selon Diderot et D’Alembert - à savoir mémoire, raison et imagination. Non, je parle de quelque chose d’invisible et d’indicible. Une faculté à oser. A foncer.

Au-delà de la rigueur et de l’endurance dont il faut faire preuve pour écrire un roman, il faut être courageux pour l’exposer au regard des autres, être humble pour accepter de le voir disséqué, modifié, corrigé, critiqué, peut-être même tout simplement rejeté.

C’est ça le hic. En nous présentant l’audace de ces hommes et de ces femmes, leur courage et leur pugnacité, Cécile Coulon nous met face - inconsciemment et involontairement, j’en suis persuadée - à nos manquements. Moi qui ai des velléités d’écrire, je suis confortée dans ma trouille, dans ma peur, dans une sorte de complexe d’imposteur qui me fait me dire que sur la ligne de départ, à côté de Gaudé, Josse ou Bouillié, autant déclarer forfait de suite, condamnée à l’échec que je suis.

Il y en a qui sont écrivains sans pouvoir écrire et d'autres qui écrivent sans être écrivains. Il y a la nature et il y a le talent. Il y a aussi l'absence de l'un comme de l'autre. Gilles Lamer


Mais demain, ou peut-être même tout à l’heure, alors que j’écouterai la fin de l’épisode dans la cabane de Daniel Pennac (grand auteur, défenseur des lecteurs !), je serai dans une autre disposition et là, ce n’est pas du découragement qui m’envahira, mais bien au contraire, de la motivation.

Alors ne préjugeons de rien, laissons-nous porter par les mots et la musique de Cécile et de ses confrères, allons à la source de ce qu’ils sont, de ce qu’ils font, découvrons ce qui coule en eux, ce qui les met dans le mouvement de l’écriture et nous entraîne dans le monde merveilleux de la littérature.



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