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Ecrire, mais pas seul...

Est-ce moi ou depuis quelques temps, nous sommes tous invités à devenir les nouveaux Pierre Lemaître ou Aurélie Valognes ?


Je vois pulluler de gauche et de droite, sur les réseaux sociaux et les publications spécialisées, des invitations et des encouragements à se lancer dans des ateliers d’écriture, des master-class avec des grands auteurs et des promesses d’être les prochaines super-plumes de la scène littéraire française, voire même internationale.

En parallèle, j’ai la chance de faire partie d’un comité de lecture pour une petite maison d’édition parisienne. A ce titre, je reçois des manuscrits que je dois lire et sur lesquels je dois donner un avis avant une éventuelle publication.

Il y a un lien entre ces deux faits. Je constate que l’illusion semble parfaite : tout le monde peut devenir un écrivain. Tout le monde a quelque chose à raconter, à écrire. Mais tout le monde en a-t-il le temps et surtout, le talent ? J’ai mon avis sur cette question, bien évidemment, mais je prends tout de même le droit d’argumenter, de tourner autour du pot.


Il y a dans mon entourage plus ou moins proche des personnes qui se sont lancées. J’ai déjà abordé la dimension utile ou pas et là, je m’interroge sur l’aspect intérêt et surtout aptitude. Parce qu’on ne va pas se mentir, nous ne sommes pas tous Proust ou Mbougar Sarr. La capacité à rédiger un roman, un récit, n’est pas dans les cordes de tout le monde, n’en déplaise à ceux qui se rêvent déjà en tête de gondole.


Si certains ouvrages comme Peau à Peau d’Héloïse des Monstiers rencontrent un franc succès, c’est que c’est mérité : tant sur le fond que sur la forme. Le récit est fort, émouvant, court mais juste ce qu’il faut pour ne pas tomber dans le pathos. On sent la motivation, l'implication et le travail. Mais d’autres livres auraient dû rester dans la tête de leurs auteurs jusqu’à maturation. Parce que. Oui oui, il y a bien de la nuance dans mon point de vue, parce que je me refuse à condamner quelqu’un qui a le courage de se lancer, même si le résultat n’est pas toujours à la hauteur.


Comme je le disais plus haut, je lis des manuscrits. Pas des masses, je me suis engagée à titre bénévole sur un livre par mois, pas plus. C’est que j’ai aussi une vie personnelle et professionnelle à côté, et surtout des lectures personnelles et professionnelles. Je suis ce qu’on peut considérer comme une boulimique littéraire. Ce n’est pas me jeter des fleurs que de faire le constat factuel de ma consommation gargantuesque de livres. A ce titre, je me considère comme une personne ayant une certaine connaissance des codes, et je me réclame d’une légitimité de connaisseuse. Je suis capable de dire qu’un bouquin est bon même si je ne l’ai pas du tout aimé, comme c’est le cas pour L’anomalie de Le Tellier par exemple, comme je peux dire que ce n’est pas de la grande littérature mais que je me régale quand même.


Vous allez voir où je veux en venir très rapidement. Les romans que je reçois de la petite maison d’édition dont nous tairons le nom sont… comment dire… inaboutis. A dire vrai, à la lecture du dernier, je me suis posée la question de savoir si quelqu’un avant moi l’avait lu. S’il y avait eu une pré-sélection avant de l’envoyer en comité de lecteurs. C’était mauvais. Réellement mauvais. Un potentiel non négligeable dans l’intrigue mais une construction qui laisse vraiment à désirer. Narration, grammaire, dialogues, noms des personnages… tout faisait frémir sauf le suspense. Ce qui est dommage, puisque je ne doute pas que la personne qui a pris le temps de se poser devant son ordinateur et de se lancer avait la foi. Enfin, je l’imagine et l’espère.

Mais force est de constater que la structure, la construction du récit ne faisait pas partie de ses priorités. Ou alors que nous n’avons pas les curseurs au même niveau. Suis-je trop exigeante ? Suis-je trop élitiste ? Je n’ai pas cette impression. De Franck Thilliez à Emile Zola en passant par Gustave Flaubert, Stephen King ou Nicolas Mathieu, je lis absolument de tout, et j’aime beaucoup de choses différentes (oui oui, même si je suis une accro d’auteurs mythiques comme Sebastien Japrisot, jai trouvé que les Cinquante Nuances de Grey avaient un côté sympa à lire !).


Je suis d’accord avec le fait que nous avons presque tous une histoire passionnante à raconter, mais avons-nous tous les capacités, la rigueur et le talent pour la faire éditer ? Non, je ne pense pas. Et je pense également que c’est une mauvaise chose que de laisser croire à tous que tout peut être écrit et surtout édité. Il y a des histoires à laisser bien au chaud dans notre tête ou notre cœur, des récits, des vécus qui ne se transmettent bien qu’à l’oral, ou alors qu’il vaut mieux garder pour soi. Qui feraient des sujets passionnants autour d’un bon dîner éventuellement, mais pas sur 150 pages. Pas sans travail sérieux, pas sans implication de l’auteur et de son entourage pour la relecture, les remarques, l’analyse, le retour de personnes objectives qui diront, avant l’envoi à un éditeur : « c’est ok, il n’y a plus de fautes », ou « la structure est bonne » ou encore « tu devrais reprendre cette partie ». Un premier filtre qui ouvrirait les yeux de l’apprenti écrivain sur la conjugaison correcte du passé simple ou la psychologie d’un personnage à creuser davantage, par exemple...


Jaenada, Lemaître ou Chalandon doivent sûrement faire relire des chapitres entiers à une personne de confiance avant de se lancer dans une aventure de plus de 400 à 700 pages ! Claire Berest et Abel Quentin peuvent compter l’un sur l’autre et ça c’est important. Il y a aussi, je pense, la nécessité de travailler ses sources, d’aller chercher l’information, de s’assurer de la géographie des lieux ou des caractéristiques techniques de ce que l’on avance. C’est bête à dire, mais citer un village et se planter dans sa localisation, pour le lecteur qui connaît bien ce coin-là, ça ne fait pas sérieux, au même titre que les anachronismes (Bussi, celles-là, elles sont pour toi).



De vous à moi, il y a bien quelquefois où je me dis que je me lancerais bien aussi. Je commence à réfléchir à une intrigue, des personnages, un lieu, des rebondissements. Et puis je lis un vrai bon roman et je me dis que le mieux, pour le moment, c’est de laisser aux auteurs cet art que je ne maîtriserais pas sur le long terme. Je peux vous parler de bouquins sur des pages et des heures, mais je ne me sens pas de me frotter à ces hommes et ces femmes qui nous font voyager, vibrer, pleurer, rire et réfléchir.


Peut-être tiendrais-je un autre discours d’ici quelques temps, peut-être me lancerais-je, peut-être me ferais-je assez confiance, mais pour le moment, je préfère laisser la place à toutes ces plumes si magiques et si talentueuses – ou pas. Et je me contente de faire ce que je fais de mieux : en parler, en rêver, en lire et en écrire… J’encourage ceux qui veulent se lancer dans un livre à le faire, mais pas seul, pas à la légère, pas n’importe comment…




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